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singularités de cette triste journée, on ne doit pas omettre la mort d’un comte de Boufflers de la branche de Rémiancourt. C’était un enfant de dix ans et demi : un coup de canon lui cassa la jambe ; il reçut le coup, se vit couper la jambe et mourut avec un égal sang-froid. Tant de jeunesse et tant de courage attendrirent tous ceux qui furent témoins de son malheur.

La perte n’était guère moins considérable parmi les officiers anglais. Le roi d’Angleterre combattait à pied et à cheval, tantôt à la tête de la cavalerie, tantôt à celle de l’infanterie. Le duc de Cumberland fut blessé à ses côtés ; le duc d’Aremberg, qui commandait les Autrichiens, reçut une balle de fusil au haut de la poitrine. Les Anglais perdirent plusieurs officiers généraux. Le combat dura trois heures ; mais il était trop inégal ; le courage seul avait à combattre la valeur, le nombre et la discipline. Enfin, le maréchal de Noailles ordonna la retraite.

Le roi d’Angleterre dîna sur le champ de bataille, et se retira ensuite sans même se donner le temps d’enlever tous ses blessés, dont il laissa environ six cents que le lord Stair recommanda à la générosité du maréchal de Noailles. Les Français les recueillirent comme des compatriotes ; les Anglais et eux se traitaient en peuples qui se respectaient.

Les deux généraux s’écrivirent des lettres qui font voir jusqu’à quel point on peut pousser la politesse et l’humanité au milieu des horreurs de la guerre.

Cette grandeur d’âme n’était pas particulière au comte Stair et au duc de Noailles. Le duc de Cumberland surtout fit un acte de générosité qui doit être transmis à la postérité. Un mousquetaire nommé Girardeau, blessé dangereusement, avait été porté près de sa tente. On manquait de chirurgiens, assez occupés ailleurs ; on allait panser le prince, à qui une balle avait percé les chairs de la jambe. « Commencez, dit le prince, par soulager cet officier français ; il est plus blessé que moi ; il manquerait de secours, et je n’en manquerai pas. »

Au reste, la perte fut à peu près égale dans les deux armées. Il y eut du côté des alliés deux mille deux cent trente et un hommes tant tués que blessés. On sut ce calcul par les Anglais, qui rarement diminuent leur perte, et n’augmentent guère celle de leurs ennemis.

Les Français souffrirent une grande perte en faisant avorter le fruit des plus belles dispositions par cette ardeur précipitée et cette indiscipline qui leur avait fait perdre autrefois les batailles de Poitiers, de Crécy, d’Azincourt. Celui qui écrit cette histoire