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postées dans le village de Dettingen en-deçà d’un ravin profond. Elles n’étaient point aperçues des Anglais, et le maréchal voyait tout ce que les Anglais faisaient. M. de Vallière, lieutenant général, homme qui avait poussé le service de l’artillerie aussi loin qu’il peut aller, tenait ainsi dans un défilé les ennemis entre deux batteries qui plongeaient sur eux du rivage. Ils devaient passer par un chemin creux qui est entre Dettingen et un petit ruisseau. On ne devait fondre sur eux qu’avec un avantage certain dans un terrain qui devenait un piège inévitable[1]. Le roi d’Angleterre pouvait être pris lui-même : c’était enfin un de ces momens décisifs qui semblaient devoir mettre fin à la guerre.

Le maréchal recommande au duc de Grammont, son neveu, lieutenant général et colonel des gardes, d’attendre dans cette position que l’ennemi vînt lui-même se livrer. Il alla malheureusement reconnaître un gué pour faire encore avancer de la cavalerie. La plupart des officiers disaient qu’il eût mieux fait de rester à l’armée[2] pour se faire obéir. Il envoya faire occuper le poste d’Aschaffenbourg par cinq brigades, de sorte que les Anglais étaient pris de tous côtés. Un moment d’impatience dérangea toutes ces mesures.

(27 juin) Le duc de Grammont crut que la première colonne ennemie était déjà passée, et qu’il n’y avait qu’à fondre sur une arrière-garde qui ne pouvait résister[3] ; il fit passer le ravin à ses troupes. Quittant ainsi un terrain avantageux où il devait rester, il avance avec le régiment des gardes et celui de Noailles infanterie dans une petite plaine qu’on appelle le Champ-des-Coqs. Les Anglais, qui défilaient en ordre de bataille, se formèrent bientôt. Par là les Français, qui avaient attiré les ennemis dans le piège, y tombèrent eux-mêmes. Ils attaquèrent les ennemis en désordre et avec des forces inégales. Le canon que M. de Vallière avait établi le long du Mein, et qui foudroyait les ennemis par le flanc, et surtout les Hanovriens, ne fut plus d’aucun usage, parce qu’il aurait tiré contre les Français mêmes. Le maréchal revient dans le moment qu’on venait de faire cette faute.

  1. Ce texte est celui de l’édition originale (1768, in-8o), de l’édition de 1769, in-12, de l’édition in-4o. Dans l’édition de 1775 trois mots ont été oubliés ; on y lit : « avantage certain, qui devenait un piège inévitable. » Les éditions de Kehl se sont arrêtées au mot certain, à cause du contre-sens que présente l’édition de 1775, sur laquelle elles ont été faites. (B.)
  2. Les éditions de Kehl portent : « rester à l’armée. » Le texte que j’ai suivi est celui des éditions de 1768, 1769 in-4o, et 1775. (B.)
  3. Grammont et la maison du roi ne voulurent pas que l’artillerie eût l’honneur de l’affaire. (G. A.)