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duc d’Agénois, et beaucoup d’autres, blessés. Mais il en avait coûté encore moins qu’on ne devait s’attendre dans un tel terrain. Le comte de Campo-Santo, qui ne put arriver à ce défilé étroit et escarpé où ce furieux combat s’était donné, écrivit au marquis de La Mina, général de l’armée espagnole sous don Philippe : « Il se présentera quelques occasions où nous ferons aussi bien que les Français ; car il n’est pas possible de faire mieux. » Je rapporte toujours les lettres des généraux, lorsque j’y trouve des particularités intéressantes ; ainsi je transcrirai encore ce que le prince de Conti écrivit au roi touchant cette journée : « C’est une des plus brillantes et des plus vives actions qui se soient jamais passées ; les troupes y ont montré une valeur au-dessus de l’humanité. La brigade de Poitou, ayant M. d’Agénois à sa tête, s’est couverte de gloire.

« La bravoure et la présence d’esprit de M. de Chevert ont principalement décidé l’avantage. Je vous recommande M. de Solémy et le chevalier de Modène. La Carte a été tué ; Votre Majesté, qui connaît le prix de l’amitié, sent combien j’en suis touché. » Ces expressions d’un prince à un roi sont des leçons de vertu pour le reste des hommes, et l’histoire doit les conserver.

Pendant qu’on prenait Château-Dauphin, il fallait emporter ce qu’on appelait les barricades ; c’était un passage de trois toises entre deux montagnes qui s’élèvent jusqu’aux nues. Le roi de Sardaigne avait fait couler dans ce précipice la rivière de Sture, qui baigne cette vallée. Trois retranchements et un chemin couvert, par-delà la rivière, défendaient ce poste, qu’on appelait les barricades ; il fallait ensuite se rendre maître du château de Démont, bâti avec des frais immenses sur la tête d’un rocher isolé au milieu de la vallée de Sture ; après quoi les Français, maîtres des Alpes, voyaient les plaines du Piémont. Ces barricades furent tournées habilement par les Français et par les Espagnols la veille de l’attaque de Château-Dauphin (18 juillet). On les emporta presque sans coup férir, en mettant ceux qui les défendaient entre deux feux. Cet avantage fut un des chefs-d’œuvre de l’art de la guerre : car il fut glorieux, il remplit l’objet proposé, et ne fut pas sanglant.