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un même souverain eussent encore alarmé les esprits. Don Philippe, puîné de don Carlos, fut le premier auquel on destina le Milanais et le Parmesan. La reine de Hongrie, maîtresse du Milanais, faisait ses efforts pour s’y maintenir. Le roi de Sardaigne, duc de Savoie, revendiquait ses droits sur cette province ; il craignait de la voir dans les mains de la maison de Lorraine entée sur la maison d’Autriche, qui, possédant à la fois le Milanais et la Toscane, pourrait un jour lui ravir les terres qu’on lui avait cédées par les traités de 1737 et 1738 ; mais il craignait encore davantage de se voir pressé par la France et par un prince de la maison de Bourbon, tandis qu’il voyait un autre prince de cette maison maître de Naples et de Sicile.

Il se résolut, dès le commencement de 1742, à s’unir avec la reine de Hongrie sans s’accorder dans le fond avec elle. Ils se réunissaient seulement contre le péril présent ; ils ne se faisaient point d’autres avantages : le roi de Sardaigne se réservait même de prendre, quand il voudrait, d’autres mesures. C’était un traité de deux ennemis qui ne songeaient qu’à se défendre d’un troisième. La cour d’Espagne envoyait l’infant don Philippe attaquer le duc roi de Sardaigne, qui n’avait voulu de lui ni pour ami ni pour voisin. Le cardinal de Fleury avait laissé passer don Philippe et une partie de son armée par la France, mais il n’avait pas voulu lui donner de troupes.

On fait beaucoup dans un temps, on craint de faire même peu dans un autre. La raison de cette conduite était qu’on se flattait encore de regagner le roi de Sardaigne, qui laissait toujours des espérances.

On ne voulait pas d’ailleurs alors de guerre directe avec les Anglais, qui l’auraient infailliblement déclarée. Les révolutions des affaires de terre, qui commençaient alors en Allemagne, ne permettaient pas de braver partout les puissances maritimes. Les Anglais s’opposaient ouvertement à l’établissement de don Philippe en Italie, sous prétexte de maintenir l’équilibre de l’Europe.

Cette balance, bien ou mal entendue, était devenue la passion du peuple anglais ; mais un intérêt plus couvert était le but du ministère de Londres. Il voulait forcer l’Espagne à partager le commerce du nouveau monde : il eût, à ce prix, aidé don Philippe à passer en Italie, ainsi qu’il avait aidé don Carlos en 1731. Mais la cour d’Espagne ne voulait point enrichir ses ennemis à ses dépens, et comptait établir don Philippe dans ses États.

Dès le mois de novembre et de décembre 1741, la cour d’Espagne avait envoyé par mer plusieurs corps de troupes en Italie,