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quoi entretenir les armées, où les lois sont sans vigueur, où la liberté ne produit que des divisions ; ce pays, dis-je, se vantait en vain d’une noblesse belliqueuse qui peut monter à cheval au nombre de cent mille hommes. Dix mille Russes firent d’abord disparaître tout ce qui était assemblé en faveur de Stanislas. La nation polonaise, qui, un siècle auparavant, regardait les Russes avec mépris, était alors intimidée et conduite par eux. L’empire de Russie était devenu formidable depuis que Pierre le Grand l’avait formé. Dix mille esclaves russes disciplinés dispersèrent toute la noblesse de Pologne, et le roi Stanislas, renfermé dans la ville de Dantzick, y fut bientôt assiégé par une armée de Russes.

L’empereur d’Allemagne, uni avec la Russie, était sûr du succès. Il eût fallu, pour tenir la balance égale, que la France eût envoyé par mer une nombreuse armée ; mais l’Angleterre n’aurait pas vu ces préparatifs immenses sans se déclarer. Le cardinal de Fleury, qui ménageait l’Angleterre, ne voulut ni avoir la honte d’abandonner entièrement le roi Stanislas, ni hasarder de grandes forces pour le secourir. Il fit partir une escadre avec quinze cents hommes, commandée par un brigadier. Cet officier ne crut pas que sa commission fût sérieuse ; il jugea, quand il fut près de Dantzick, qu’il sacrifierait sans fruit ses soldats, et il alla relâcher en Danemark. Le comte de Plélo, ambassadeur de France auprès du roi de Danemark, vit avec indignation cette retraite, qui lui paraissait humiliante. C’était un jeune homme qui joignait à l’étude des belles-lettres et de la philosophie des sentiments héroïques dignes d’une meilleure fortune. Il résolut de soutenir Dantzick contre une armée avec cette petite troupe, ou d’y périr. Il écrivit avant de s’embarquer une lettre à l’un des secrétaires d’État, laquelle finissait par ces mots : « Je suis sûr que je n’en reviendrai pas ; je vous recommande ma femme et mes enfants. » Il arriva à la rade de Dantzick, débarqua, et attaqua l’armée russe ; il y périt percé de coups, comme il l’avait prévu. Sa lettre arriva avec la nouvelle de sa mort, Dantzick fut pris ; l’ambassadeur de France auprès de la Pologne, qui était dans cette place, fut prisonnier de guerre, malgré les privilèges de son caractère. Le roi Stanislas vit sa tête mise à prix par le général des Russes, le comte de Munich, dans la ville de Dantzick, dans un pays libre, dans sa propre patrie, au milieu de la nation qui l’avait élu suivant toutes les lois. Il fut obligé de se déguiser en matelot, et n’échappa qu’à travers les plus grands dangers. Remarquons ici que ce comte maréchal de Munich, qui le poursuivait si cruelle-