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réfugié à Veissembourg, frontière de l’Alsace, y vivant d’une pension modique que le ministère de France lui payait très-mal. Il avait une fille élevée dans son berceau dans le malheur, dans la modestie, et dans les vertus qui rendaient ses infortunes plus intéressantes. La dame Texier pria la marquise de la venir voir ; elle lui parla de cette princesse, pour laquelle on avait proposé des partis un peu au-dessous d’un roi de France[1]. Mme  de Prie partit deux jours après pour Veissembourg, vit cette infortunée princesse polonaise, trouva qu’on ne lui en avait pas assez dit, et la fit reine.

Dans le conseil privé qu’on assembla pour décider de cette alliance, l’évêque de Fréjus dit simplement qu’il ne s’était jamais mêlé de mariage. Il laissa conclure l’affaire sans la recommander, et sans s’y opposer. La nouvelle reine lui aussi reconnaissante envers Monsieur le Duc que le roi et la reine d’Espagne furent indignés du renvoi, ou plutôt de l’expulsion de l’infante.

Quelque temps après, les murmures de Versailles et de Paris ayant éclaté, la défiance entre Monsieur le Duc et le précepteur étant augmentée, la cour ayant formé deux partis, les esprits commençant à s’aigrir, l’évêque déclare enfin au prince ministre que le seul moyen d’en prévenir les suites était de renvoyer de la cour Mme  de Prie, qui était dame du palais de la reine. La marquise, de son côté, résolut, selon les règles de la guerre de cour, de faire partir le précepteur.

Une des mortifications du premier ministre était que lorsqu’il travaillait avec le roi aux affaires d’État, Fleury y assistait toujours, et que lorsque Fleury faisait signer au roi des ordres pour l’Église, le prince n’y était point admis. On engagea un jour le roi à venir tenir son petit conseil sur des objets de peu d’importance dans la chambre de la reine, et quand l’évêque de Fréjus voulut entrer, la porte lui fut fermée. Fleury, incertain si le roi n’était pas du complot, prit incontinent le parti de se retirer au village d’Issy, entre Paris et Versailles, dans une petite maison de campagne appartenante à un séminaire : c’était là son refuge quand il était mécontent ou qu’il feignait de l’être.

  1. Entre autres le dernier maréchal d’Estrées du nom de Letellier. Le mariage manqua, parce qu’on ne voulut pas faire duc et pair le comte d’Estrées en considération de cette alliance. La princesse, devenue reine, le traita toujours avec distinction, et comme un homme qui, dans son infortune, s’était occupé du soin de l’adoucir. (K.) — Cette note, ainsi que le passage auquel elle se rapporte, a paru, pour la première fois, dans les éditions de Kehl comme étant des éditeurs. Mais je suis tenté de croire qu’elle est de Voltaire. (B.)