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On commença par renvoyer la femme de cinq ans avant de s’assurer d’une plus mûre. On la fit partir pour l’Espagne, sans pressentir son père et sa mère, sans adoucir la dureté d’une telle démarche par la plus légère excuse. On chargea seulement l’abbé de Livry-Sanguin, fils d’un premier maître d’hôtel du roi, ministre alors en Portugal, de passer en Espagne pour en instruire le roi et la reine, pendant que leur enfant était en chemin, reconduite à petites journées. Cet oubli de toute bienséance n’était l’effet d’aucune querelle entre les cours de France et d’Espagne. Il semblait qu’une telle démarche ne pouvait être imputée qu’au caractère de Duverney, qui, ayant été garçon cabaretier dans son enfance, chez sa mère en Dauphiné, soldat aux gardes dans sa jeunesse, et plongé depuis dans la finance, retint toute sa vie un peu de la dureté de ces trois professions. La marquise de Prie ne songea jamais aux conséquences, et Monsieur le Duc n’était pas politique.

L’infante[1] qui fut ainsi reconduite fut depuis reine en Portugal. Elle donna à Joseph Ier[2] les enfants qu’on ne voulut pas qu’elle donnât à Louis XV, et n’en fut pas plus heureuse.

Quelques mois après son renvoi, Mme  de Prie courut en poste à Fontevrault essayer si la princesse de Vermandois lui convenait, et si on pouvait s’assurer de gouverner le roi de France par elle. La princesse, encore plus fière que la marquise n’était légère et inconsidérée, la reçut avec une hauteur dédaigneuse et lui fit sentir qu’elle était indignée que son frère lui dépêchât une telle ambassadrice. Cette seule entrevue la priva de la couronne. On la laissa faire la fière dans son couvent : elle mourut abbesse de Beaumont-les-Tours trois ans après[3].

Il y avait dans Paris une Mme  Texier, maîtresse d’un ancien militaire nommé Vauchon, veuve d’un caissier qui avait appartenu à Pléneuf, père de Mme  de Prie. Elle était retenue pour toujours dans son lit par une maladie affreuse qui lui avait rongé la moitié du visage. Vauchon lui parla de Stanislas Leczinski, fait roi de Pologne par Charles XII, dépossédé par Pierre le Grand, et

  1. Marie-Anne-Victoire, infante d’Espagne, née en 1718, fut mariée en 1729 au prince de Brésil, depuis roi de Portugal sous le nom de Joseph Ier.
  2. Joseph-Emmanuel, né en 1714, roi en 1750, sous le nom de Joseph Ier, mourut en 1777.
  3. Henriette-Louise-Marie-Françoise-Gabrielle, connue sous le nom de Mme  de Vermandois, sœur de Mlles  de Charolais et de Clermont, était née le 15 janvier 1703 ; elle devint abbesse de Baumont-les-Tours en 1728, et n’est morte que le 10 septembre 1772. (B.)