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Bruxelles, aussi humiliée qu’elle avait été fière et triomphante à Paris. De telles révolutions ne sont pas les objets les moins utiles de l’histoire[1].

Pendant ce temps la peste désolait la Provence. On avait la

  1. Il est sûr qu’en payant en papier-monnaie les dettes d’un État, il se trouve libéré sans qu’il en ait rien coûté ; mais pour que cette opération soit juste et utile, il faut que ces billets aient dans le commerce une valeur égale à la somme d’argent qu’ils représentent. Or des billets ne peuvent conserver cette valeur s’il n’existe pas une opinion générale que tout possesseur de ces billets pourra, au moment qu’il voudra, les convertir en argent comptant. Cette opinion n’est pas fondée uniquement sur la proportion de la somme de ces billets avec la masse d’argent donnée à la banque, ni même avec la totalité de l’argent du pays. Il suffit que chacun se regarde comme assuré que le nombre des billets qu’on voudra liquider à la fois n’excédera point la somme que la banque peut réaliser à chaque instant, et, ce qui en est la conséquence, qu’ils continueront de circuler dans le commerce ; mais lorsque la somme de ces billets est supérieure à celle qu’on suppose que la banque peut réunir en argent, cette opinion ne peut s’établir que peu à peu et par l’habitude. En supposant même la confiance entière, la valeur totale des billets doit encore avoir des bornes ; si elle surpasse la quantité d’argent nécessaire pour la circulation, c’est-à-dire pour les opérations du commerce intérieur, le surplus devient inutile, et ceux qui le possèdent doivent chercher à le réaliser. Il faudrait donc qu’outre la somme nécessaire à tenir en réserve pour liquider les billets qui servent à la circulation, la banque eût toujours en argent comptant une somme égale à la valeur de ces billets superflus. Ainsi, loin d’être utiles à la banque dont ils seraient sortis, ou à l’État qui les aurait employés, ils leur deviendraient à charge, et les exposeraient à perdre leur crédit, s’ils n’avaient pas des moyens sûrs, quoique onéreux, de rassembler en peu de jours les sommes nécessaires pour ces liquidations. Les États-Unis d’Amérique, tout éclairés qu’ils sont, n’ont pas senti ces vérités si simples, et le discrédit rapide de leurs papiers a prouvé combien l’opinion de l’usage indéfini d’un papier-monnaie était peu fondée.

    Lass paraît avoir été dans la même erreur ; mais il savait très-bien que si l’on se bornait, dans la circonstance où il se trouvait, à payer les dettes en papier-monnaie, ces billets seraient bientôt sans valeur ; il fallait donc chercher à leur en donner une. Il employa pour cela trois moyens : le premier consistait à donner à la banque des profits de finance ou des privilèges de commerce, en admettant les porteurs de billets au partage de ces profits. Il était clair en effet que dès lors le papier pouvait valoir, outre la somme qu’il représentait, un profit plus ou moins considérable ; il devait donc, suivant l’idée qu’on aurait de la possibilité de ces profits, ou se maintenir au niveau de sa valeur, ou même s’élever au-dessus. Le gouvernement avait besoin d’une confiance moins grande, puisque l’espérance de gagner doit engager à courir des risques ; mais il fallait que le profit espéré fût au-dessus de l’intérêt ordinaire du commerce, et dès lors l’établissement de la banque n’était plus qu’un emprunt onéreux pour l’État. Aussi ce n’était point ce que voulait Lass ; il espérait seulement accréditer les billets par des espérances vagues ou plutôt trompeuses, comptant que lorsque la nation y serait accoutumée ils pourraient se soutenir d’eux-mêmes ; et c’est surtout dans cette partie de ses opérations qu’il se permit d’employer la charlatanerie. Nous n’en citerons qu’un exemple. Lorsqu’il accorda à la banque le privilège du commerce d’Afrique, il y joignit une petite prime pour chaque livre d’or qu’elle introduirait en France ; cette prime n’était pas un cinquième pour cent de la valeur, et par conséquent ne pouvait être comptée pour quelque chose qu’en supposant l’introduction d’une grande quantité de livres d’or. Le premier moyen réussit ; les actions gagnèrent,