Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les jésuites, en deviendrait le protecteur, et qu’il ferait enregistrer la constitution : il le promit, et tint parole. Ce sont là souvent les secrets ressorts des grands changements dans l’État et dans l’Église. L’abbé Dubois, désigné archevêque de Cambrai, conduisit seul cette affaire, et ce fut ce qui lui valut le cardinalat. Il fit enregistrer la bulle purement et simplement, comme on l’a déjà dit[1], par le grand conseil, ou plutôt malgré le grand conseil, par les princes du sang, les ducs et pairs, les maréchaux de France, les conseillers d’État et les maîtres des requêtes, et surtout par le chancelier D’Aguesseau lui-même, qui avait été si longtemps contraire à cette acceptation. D’Aguesseau, par cette faiblesse, se déshonorait aux yeux des citoyens, mais non pas des politiques. L’abbé Dubois obtint même une rétractation du cardinal de Noailles. Le régent de France, dans cette intrigue, se trouva lié quelque temps par les mêmes intérêts avec le jésuite Daubenton.

Philippe V commençait à être attaqué d’une mélancolie qui, jointe à sa dévotion, le portait à renoncer aux embarras du trône, et à le résigner à son fils aîné don Louis ; projet qu’en effet il exécuta depuis en 1724[2]. Il confia ce secret à Daubenton. Ce jésuite trembla de perdre tout son crédit quand son pénitent ne serait plus le maître, et d’être réduit à le suivre dans une solitude. Il révéla au duc d’Orléans la confession de Philippe V, ne doutant pas que ce prince ne fît tout son possible pour empêcher le roi d’Espagne d’abdiquer. Le régent avait des vues contraires : il eût été content que son gendre fût roi, et qu’un jésuite qui avait tant gêné son goût dans l’affaire de la constitution ne fût plus en état

  1. Voyez ci-dessus, page 59 ; voyez aussi l’Histoire du Parlement, chapitre lxii.
  2. Philippe V était attaqué d’une mélancolie profonde qui le rendait quelquefois incapable de tout travail. Ce fut pour dérober cet état aux yeux de la nation que ceux qui le conseillaient se prêtèrent au projet d’abdiquer qu’il avait formé. Il se retira au château de Balsain avec la reine, son confesseur, et son ministre de confiance ; mais le jeune roi, don Louis, n’eut d’abord que les honneurs de la royauté ; c’était à Balsain que se décidaient toutes les affaires. Cependant, quoique ce règne n’ait duré que quelques mois, les ministres du nouveau roi, tous nommés par Philippe, tentèrent de brouiller le père et le fils. On proposa dans le conseil de Louis de retrancher la moitié de la pension du roi Philippe, sous le prétexte du désordre des finances. Louis rejeta cette proposition avec l’indignation qu’elle méritait. Philippe en fut instruit ; et lorsqu’il remonta sur le trône, à la mort de son fils, il dit au marquis de Leide, l’un de ceux qui avaient opiné pour le retranchement et qui lui devait sa fortune : « Monsieur le marquis de Leide, je n’aurais jamais cru cela de vous. » De Leide se retira de la cour, et mourut de chagrin peu de temps après. Nous verrons bientôt un exemple plus frappant encore de l’ingratitude des ministres à l’égard des rois descendus du trône. (K.)