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soutenir que la couronne était indépendante. C’était le même esprit qui avait autrefois déposé Louis le Débonnaire. Cet esprit prévalut au point que la cour, subjuguée, fut obligée de faire mettre en prison l’imprimeur qui avait publié l’arrêt du parlement sous le titre de loi fondamentale. C’était, disait-on, pour le bien de la paix ; mais c’était punir ceux qui fournissaient des armes défensives à la couronne. De telles scènes ne se passaient point à Vienne : c’est qu’alors la France craignait Rome, et que Rome craignait la maison d’Autriche[1].

La cause qui succomba était tellement la cause de tous les rois que Jacques Ier, roi d’Angleterre, écrivit contre le cardinal Duperron ; et c’est le meilleur ouvrage de ce monarque[2]. C’était aussi la cause des peuples, dont le repos exige que leurs souverains ne dépendent pas d’une puissance étrangère. Peu à peu la raison a prévalu, et Louis XIV n’eut pas de peine à faire écouter cette raison, soutenue du poids de sa puissance.

Antonio Perez avait recommandé trois choses à Henri IV : Roma, Consejo, Pielago[3]. Louis XIV eut les deux dernières avec tant de supériorité qu’il n’eut pas besoin de la première. Il fut attentif à conserver l’usage de l’appel comme d’abus au parlement des ordonnances ecclésiastiques, dans tous les cas où ces ordonnances intéressent la juridiction royale[4]. Le clergé s’en plaignit souvent, et s’en loua quelquefois : car si d’un côté ces appels soutiennent les droits de l’État contre l’autorité épiscopale, ils assurent de l’autre cette autorité même, en maintenant les privilèges de l’Église gallicane contre les prétentions de la cour de Rome ; de sorte que les évêques ont regardé les parlements comme leurs adversaires et comme leurs défenseurs, et le gouvernement eut soin que, malgré les querelles de religion, les bornes aisées à franchir ne fussent passées de part ni d’autre. Il en est de la puissance des corps et des compagnies comme des intérêts des villes commerçantes : c’est au législateur à les balancer.

  1. Voyez le chapitre de Louis XIII, dans l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, chapitre clxxv (tome XII, page 572 et suiv.).
  2. Son ouvrage est intitulé Declaratio pro jure regio, sceptrorumque immunitate, adversus orationem cardinalis Perronii. Londres, 1616, in-4o.
  3. Rome, prudence, mer.
  4. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, le mot Appel comme d’abus.