Si feu milord Bolingbroke m’avait montré sa huitième lettre sur l’Histoire, où la passion lui fait dire que « le gouvernement de son pays est composé d’un roi sans éclat, de nobles sans indépendance, et de communes sans liberté », je l’aurais prié de retrancher cette phrase, dont le fond n’est pas vrai et dont l’antithèse n’est pas juste, et de ne pas donner aux lecteurs lieu de croire que, dans ses écrits, le mécontent entraînait trop loin le philosophe.
Le traducteur du lord Bolingbroke veut encore s’inscrire en faux contre ce que j’ai rapporté du célèbre archevêque de Cambrai, Fénelon. Il veut parler apparemment de ces vers que l’archevêque fit dans sa vieillesse :
Jeune, j’étais trop sage[1],
Et voulais trop savoir, etc.
Je puis protester que le marquis de Fénelon son neveu, ambassadeur en Hollande, me les dit à la Haye en 1741. Il y avait dans la chambre un homme très-connu qui pourrait s’en souvenir ; c’est en présence du même homme que M. de Fénelon me montra le manuscrit original du Télémaque. J’écrivis les vers en question sur mes tablettes, et je les possède copiés dans un ancien manuscrit tout de la même main. M. de Fénelon me dit que ces vers étaient une parodie d’un air de Lulli : je ne sais pas encore sur quel air ils ont été faits ; mais tout ce que je sais, c’est qu’il est très-utile de nous dire tous les jours à nous-mêmes, à nous qui disputons avec tant de chaleur sur des bagatelles, sur des difficultés puériles, que le grand archevêque de Cambrai reconnut, vers la fin de sa vie, la vanité des disputes sur des objets plus sérieux.
Le traducteur de Bolingbroke me fait un reproche non moins injuste sur le cardinal Mazarin. « Ce n’est pas par les vaudevilles, dit-il, qu’il le faut juger. » Non, sans doute ; et ce n’est ni sur les vaudevilles, ni sur les satires qu’il faut juger personne, c’est sur les faits avérés. Or je voudrais bien savoir où ce traducteur a vu que le cardinal Mazarin trouva la France dans le plus grand embarras. Quand il fut premier ministre, il la trouva triomphante par la valeur du grand Condé et par celle des Suédois. La paix de Vestphalie lui fit un honneur qu’on ne peut lui ravir ; mais les traités heureux sont le fruit des campagnes heureuses. Cette
- ↑ Voyez page 72.