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vernements, avec moins d’effusion de cœur dans leurs livres, attendu que les chaînes qu’on donne aujourd’hui aux Arétins ne sont pas d’or. Je leur conseillerai de fortifier leurs talents et leur génie, et de venir ensuite demander ma place, qu’ils rempliront beaucoup plus dignement que moi.

S’ils continuent à se rendre utile par des critiques, non-seulement permises, mais nécessaires dans la république des lettres, je prendrai la liberté de leur dire : « Censurez les ouvrages, vous faites très-bien : donnez-en de supérieurs, vous ferez encore mieux. » Quand le P. Bouhours demande dans un de ses livres si un Allemand peut être un bel esprit[1] ; quand parmi de bonnes critiques du Tasse, il en hasarde de mauvaises : quand il dit que la grâce est un je ne sais quoi, on parait en droit de se moquer de lui, et même de dire qu’il est un je ne sais qui, comme a fait Barbier d’Arcrour.

Si le P. Bary montre le paradis ouvert à Philagie par cent et une dévotions à la Vierge, aisées à pratiquer[2] ; si Escobar facilite le salut par des moyens beaucoup plus plaisants, on ne trouve point mauvais que Pascal fasse rire l’Europe aux dépens d’Escobar et de Barry. Il a poussé trop loin la raillerie, en faisant passer tous les jésuites pour autant de Barrys et d’Escobars ; mais il s’en faut beaucoup que ce livre soit regardé du même œil par le public et par les jésuites: ils ont réussi à le faire condamner par deux parlements[3], et n’ont pu l’empêcher d’être les délices des nations.

Si l’auteur d’un livre de physique[4], utile à la jeunesse, avance que Moïse était un grand et profond physicien ; s’il dit que Locke n’est qu’un bavard ennuyeux ; s’il assure que le flux de l’Océan

  1. La critique de Barbier d’Aucour, dans la sixième lettre des Sentiments de Cléante sur le quatrième Entretien d’Ariste et d’Eugène, me semble minutieuse et peu exacte en cette circonstance, Eugène dit bien que « c’est une chose singulière qu’un bel esprit allemand ou moscovite » ; mais il est réfuté par Ariste, qui soutient que le bel esprit est de tous les pays, et n’est étranger nulle part; et de l’aveu même de Barbier d"Aucour, son critique, le P. Bouhours est représenté par Ariste. Il y a des écrivains qui ont été plus loin, et qui ont dit qu’il mettait en question si un Allemand peut avoir de l’esprit. Bouhours n’a point écrit cette impertinence. (Cl.)
  2. La dixième édition de cet ouvrage de Paul Barry est de 1613, in-12. Pascal en parle dans la neuvième de ses Lettres provinciales.
  3. Le parlement de Provence est le seul qui ait condamné les Lettres provinciales ; voyez la note 2 de la page 47 ; mais ces Lettres ont aussi été condamnées par un arrêt du conseil d’État du 23 septembre 1060. Leur condamnation à Rome est du septembre 1657. Une traduction italienne fut condamnée à Rome le 27 mars 1762. (B.)
  4. Pluche, auteur du Spectacle de la nature.