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PREMIÈRE PARTIE.

Il faut distinguer les erreurs dans les historiens. Une fausse date, un nom pour un autre, ne sont que des matières pour un errata. Si d’ailleurs le corps de l’ouvrage est vrai, si les intérêts, les motifs, les événements, sont développés avec fidélité, c’est alors une statue bien faite à laquelle on peut reprocher quelque pli négligé à la draperie.

On pourrait à toute force pardonner à l’historien de Limiers d’avoir fait assister au grand conseil qui se tint à Versailles, au sujet du testament de Charles II, Mme  de Maintenon, qui n’y entra jamais, et M. de Pomponne, qui était mort ; mais ce qu’on ne peut pardonner, c’est l’ignorance des deux traités de partage ; c’est d’avoir supposé que le roi d’Angleterre avait engagé Charles II à faire un testament en faveur du prince de Bavière ; c’est d’avoir imaginé que Louis XIV avait ensuite envoyé un autre testament à signer au roi d’Espagne en faveur du duc d’Anjou. Il n’est pas permis de se tromper sur une révolution si grande, si importante, devenue la base d’un nouveau système de l’Europe. L’auteur du Siècle est, de tous les historiens qui ont parlé de cet événement, le premier qui ait su et qui ait dit la vérité.

Que le P. Daniel, dans ses Abrégés chronologiques de Louis XIII et de Louis XIV, se trompe sur quelques noms, sur la position de quelques villes ; qu’il prenne l’entrée de quelques troupes dans une ville ouverte pour un siége, ces légères fautes ne sont presque rien, parce qu’il importe peu à la postérité qu’on ait eu tort ou raison dans des petits faits qui sont perdus pour elle. Mais on ne peut souffrir les déguisements avec lesquels il raconte les batailles importantes, ni surtout son affectation de n’étaler que des combats, qui, après tout, ne sont que des choses fort communes dans les fastes d’un siècle mémorable par tant d’autres endroits singuliers. C’est ce qu’on lui reproche dans sa grande histoire. Il aurait dû approfondir les lois, les usages, le commerce, les arts, parler de tout en philosophe. Il ne l’a pas fait ; et quoique son histoire de France soit la meilleure de toutes, notre histoire reste encore à faire.

On ennoblira encore ici l’humiliation où l’on descend de parler d’un tel critique, en rendant compte d’une autre anecdote très-importante. Cette particularité ne se trouve que dans l’édition du Siècle de 1753. On y voit par quel motif Louis XIV reconnut le fils de Jacques II pour roi en 1701. L’auteur du Siècle avoue seulement, dans toutes les premières éditions, que plusieurs membres du parlement d’Angleterre lui ont dit que, sans cette démarche de Louis XIV, le parlement n’aurait peut-être point