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ÉCRIVAINS FRANÇAIS

tait le vide, comme Épicure, niait un Dieu, comme lui. C’est ainsi que raisonnent les calomniateurs. Gassendi en Provence, où l’on n’était point jaloux de lui, était appelé le saint prêtre ; à Paris, quelques envieux l’appelaient l’athée. Il est vrai qu’il était sceptique, et que la philosophie lui avait appris à douter de tout, mais non pas de l’existence d’un Être suprême[1]. Il avait avancé longtemps avant Locke, dans une grande lettre à Descartes, qu’on ne connaît point du tout l’âme, que Dieu peut accorder la pensée à l’autre être inconnu qu’on nomme matière, et la lui conserver éternellement. Mort en octobre 1655.

Gédoin (Nicolas), chanoine de la Sainte-Chapelle à Paris, auteur d’une excellente traduction de Quintilien[2] et de Pausanias. Il était entré chez les jésuites à l’âge de quinze ans, et en sortit dans un âge mûr. Il était si passionné pour les bons auteurs de l’antiquité qu’il aurait voulu qu’on eût pardonné à leur religion en faveur des beautés de leurs ouvrages et de leur mythologie : il trouvait dans la fable une philosophie naturelle, admirable, et des emblèmes frappants de toutes les opérations de la Divinité. Il croyait que l’esprit de toutes les nations s’était rétréci, et que la grande poésie et la grande éloquence avaient disparu du monde avec la mythologie des Grecs. Le poëme de Milton lui paraissait un poëme barbare et d’un fanatisme sombre et dégoûtant, dans lequel le diable hurle sans cesse contre le Messie. Il écrivit sur ce sujet quatre dissertations très-curieuses : on croit qu’elles seront bientôt imprimées[3]. Mort en 1744.

N. B. On a imprimé dans quelques dictionnaires que Ninon lui accorda ses faveurs à quatre-vingts ans. En ce cas on aurait dû dire plutôt que l’abbé Gédoin lui accorda les siennes ; mais c’est un conte ridicule. Ce fut à l’abbé de Châteauneuf que Ninon donna un rendez-vous pour le jour auquel elle aurait soixante ans accomplis[4].

Genest (Charles-Claude), né en 1635[5], aumônier de la duchesse d’Orléans, philosophe et poëte. Sa tragédie de Pénélope a encore

  1. Les déclamations contre le scepticisme sont l’ouvrage de la sottise ou de la charlatanerie. Un sceptique qui n’admettrait pas les différents degrés de probabilité serait un fou ; un sceptique qui les admet ne diffère des dogmatiques qu’en ce qu’il cherche à démêler ces différents degrés avec plus de subtilité. (K.)
  2. Ce qui précède est de 1751 ; ce qui suit, de 1763, le N. B. est de 1768. (B.)
  3. Elles ne le sont pas encore. (B.)
  4. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Dictionnaire, et Sur Mlle  de Lenclos dans les Mélanges, à la date de 1751.
  5. Le 17 octobre 1639, suivant d’Olivet et d’Alembert.