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DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

laissé des Mémoires. Il serait utile que les ministres en écrivissent, mais non tels[1] que ceux qui sont rédigés depuis peu[2] sous le nom du duc de Sully. Mort en 1666.

Brueys (l’abbé de), né en Languedoc en 1639[3]. Dix volumes de controverse qu’il a faits auraient laissé son nom dans l’oubli ; mais la petite comédie du Grondeur, supérieure à toutes les farces de Molière, et celle de l’Avocat Patelin, ancien monument de la naïveté gauloise qu’il rajeunit, le feront connaître tant qu’il y aura en France un théâtre. Palaprat l’aida dans ces deux jolies pièces. Ce sont les seuls ouvrages de génie que deux auteurs aient composés ensemble. Mort en 1723.

On croit devoir relever ici un fait très-singulier qui se trouve dans un recueil d’Anecdotes littéraires[4], 1750, chez Durand, tome II, page 369. Voici les paroles de l’auteur : « Les amours de Louis XIV ayant été jouées en Angleterre, Louis XIV voulut faire jouer aussi celles du roi Guillaume. L’abbé Brueys fut chargé par M. de Torcy de faire la pièce ; mais, quoique applaudie, elle ne fut pas jouée. »

Remarquez que ce recueil d’Anecdotes, qui est rempli de pareils contes, est imprimé avec approbation et privilége ; jamais on ne joua les amours de Louis XIV sur aucun théâtre de Londres, et on sait que le roi Guillaume n’eut jamais de maîtresse. Quand il en aurait eu, Louis XIV était trop attaché aux bienséances pour ordonner qu’on fit une comédie des amours de Guillaume ; M. de Torcy n’était pas homme à proposer une chose si impertinente ; enfin l’abbé Brueys ne songea jamais à composer ce ridicule ouvrage qu’on lui attribue. On ne peut trop répéter que la plupart de ces recueils d’anecdotes, de ces ana, de ces mémoires secrets, dont le public est inondé, ne sont que des compilations faites au hasard par des écrivains mercenaires.

Brumoy (Pierre), jésuite, né à Rouen en 1688. Son Théâtre des Grecs passe pour le meilleur ouvrage qu’on ait en ce genre, malgré ses fautes et l’infidélité de la traduction. On a prouvé par ses poésies qu’il est bien plus aisé de traduire et de louer les anciens que d’égaler par ses propres productions les grands modernes. On peut d’ailleurs lui reprocher de n’avoir pas assez senti la supé-

  1. Toutes les éditions, depuis 1751 jusqu’à la présente, portent mais tels ; j’ai mis mais non tels, parce que le sens de la phrase l’indique, et parce que cela est d’accord avec une note de Voltaire dans son Histoire du parlement. (Avril 1830.) (B.)
  2. Voltaire écrivait cela en 1751. Les Mémoires de Sully, rédigés par Lécluse, sont de 1745. (B.)
  3. David-Augustin de Brueys est né à Aix, en Provence, en 1640.
  4. Par l’abbé Raynal. Une édition de 1752 à trois volumes in-12.