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Serait-on bien reçu à prouver l’immortalité et les métempsycoses de l’âme, en disant que le sommeil naît de la veille, la veille du sommeil, le vivant du mort, et le mort du vivant ? Ce sont là les raisonnements qu’on a admirés pendant tant de siècles ; et des idées plus extravagantes encore ont été employées depuis à l’éducation des hommes.

Locke seul a développé l’entendement humain, dans un livre où il n’y a que des vérités ; et, ce qui rend l’ouvrage parfait, toutes ces vérités sont claires.

Si l’on veut achever de voir en quoi ce dernier siècle l’emporte sur tous les autres, on peut jeter les yeux sur l’Allemagne et sur le Nord. Un Hevelius, à Dantzick, est le premier astronome qui ait bien connu la planète de la lune ; aucun homme avant lui n’avait mieux examiné le ciel. Parmi les grands hommes que cet âge a produits, nul ne fait mieux voir que ce siècle peut être appelé celui de Louis XIV. Hevelius perdit, par un incendie, une immense bibliothèque : le monarque de France gratifia l’astronome de Dantzick d’un présent fort au-dessus de sa perte.

Mercator, dans le Holstein, fut, en géométrie, le précurseur de Newton ; les Bernouilli, en Suisse, ont été les dignes disciples de ce grand homme. Leibnitz passa quelque temps pour son rival.

Ce fameux Leibnitz naquit à Leipsick ; il mourut en sage à Hanovre, adorant un dieu comme Newton, sans consulter les hommes. C’était peut-être le savant le plus universel de l’Europe : historien infatigable dans ses recherches, jurisconsulte profond, éclairant l’étude du droit par la philosophie, tout étrangère qu’elle paraît à cette étude ; métaphysicien assez délié pour vouloir réconcilier la théologie avec la métaphysique ; poëte latin même, et enfin mathématicien assez bon pour disputer au grand Newton l’invention du calcul de l’infini, et pour faire douter quelque temps entre Newton et lui.

C’était alors le bel âge de la géométrie : les mathématiciens s’envoyaient souvent des défis, c’est-à-dire des problèmes à résoudre, à peu près comme on dit que les anciens rois de l’Égypte et de l’Asie s’envoyaient réciproquement des énigmes à deviner. Les problèmes que se proposaient les géomètres étaient plus difficiles que ces énigmes ; il n’y en eut aucun qui demeurât sans solution en Allemagne, en Angleterre, en Italie, en France, Jamais la correspondance entre les philosophes ne fut plus universelle ; Leibnitz servait à l’animer. On a vu une république littéraire établie insensiblement dans l’Europe, malgré les guerres et malgré les religions différentes. Toutes les sciences, tous les