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astronomie, qu’on croit trop sèches, et ses inventions, qu’on croit plus extravagantes que merveilleuses, plus dégoûtantes que fortes : tels sont une longue chaussée sur le chaos ; le Péché et la Mort amoureux l’un de l’autre, qui ont des enfants de leur inceste ; et la Mort « qui lève le nez pour renifler à travers l’immensité du chaos le changement arrivé à la terre, comme un corbeau qui sent les cadavres », cette Mort qui flaire l’odeur du Péché, qui frappe de sa massue pétrifique sur le froid et sur le sec ; ce froid et ce sec avec le chaud et l’humide qui, devenus quatre braves généraux d’armée, conduisent en bataille des embryons d’atomes armés à la légère. Enfin on s’est épuisé sur les critiques, mais on ne s’épuise pas sur les louanges. Milton reste la gloire et l’admiration de l’Angleterre : on le compare à Homère, dont les défauts sont aussi grands ; et on le met au-dessus du Dante, dont les imaginations sont encore plus bizarres.

Dans le grand nombre des poëtes agréables qui décorèrent le règne de Charles II, comme les Waller, les comtes de Dorset et de Rochester, le duc de Buckingham, etc., on distingue le célèbre Dryden, qui s’est signalé dans tous les genres de poésie : ses ouvrages sont pleins de détails naturels à la fois et brillants, animés, vigoureux, hardis, passionnés, mérite qu’aucun poëte de sa nation n’égale, et qu’aucun ancien n’a surpassé. Si Pope, qui est venu après lui, n’avait pas, sur la fin de sa vie, fait son Essai sur l’homme, il ne serait pas comparable à Dryden.

Nulle nation n’a traité la morale en vers avec plus d’énergie et de profondeur que la nation anglaise ; c’est là, ce me semble, le plus grand mérite de ses poëtes.

Il y a une autre sorte de littérature variée, qui demande un esprit encore plus cultivé et plus universel : c’est celle qu’Addison a possédée ; non-seulement il s’est immortalisé par son Caton, la seule tragédie anglaise écrite avec une élégance et une noblesse continue, mais ses autres ouvrages de morale et de critique respirent le goût : on y voit partout le bon sens paré des fleurs de l’imagination ; sa manière d’écrire est un excellent modèle en tout pays. Il y a du doyen Swift plusieurs morceaux dont on ne trouve aucun exemple dans l’antiquité : c’est Rabelais perfectionné[1].

Les Anglais n’ont guère connu les oraisons funèbres ; ce n’est pas la coutume chez eux de louer des rois et des reines dans les

  1. Le parallèle de Swift et de Rabelais est plus étendu dans la vingt-deuxième des Lettres philosophiques. C’est à Swift qu’est consacrée la cinquième des Lettres à Son Altesse Monseigneur le prince de ***, Voyez aussi le Temple du Goût, tome VIII.