Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
553
DES BEAUX-ARTS.

relles que ce genre comporte. Quiconque approfondit la théorie des arts purement de génie doit, s’il a quelque génie lui-même, savoir que ces premières beautés, ces grands traits naturels qui appartiennent à ces arts, et qui conviennent à la nation pour laquelle on travaille, sont eu petit nombre. Les sujets et les embellissements propres aux sujets ont des bornes bien plus resserrées qu’on ne pense. L’abbé Dubos, homme d’un très-grand sens, qui écrivait son traité sur la poésie et sur la peinture vers l’an 1714[1], trouva que dans toute l’histoire de France il n’y avait de vrai sujet de poëme épique que la destruction de la Ligue par Henri le Grand. Il devait ajouter que les embellissements de l’épopée, convenables aux Grecs, aux Romains, aux Italiens du XVe et du xvie siècle, étant proscrits parmi les Français, les dieux de la fable, les oracles, les héros invulnérables, les monstres, les sortilèges, les métamorphoses, les aventures romanesques n’étant plus de saison, les beautés propres au poëme épique sont renfermées dans un cercle très-étroit. Si donc il se trouve jamais quelque artiste qui s’empare des seuls ornements convenables au temps, au sujet, à la nation, et qui exécute ce qu’on a tenté, ceux qui viendront après lui trouveront la carrière remplie.

Il en est de même dans l’art de la tragédie. Il ne faut pas croire que les grandes passions tragiques et les grands sentiments puissent se varier à l’infini d’une manière neuve et frappante. Tout a ses bornes.

La haute comédie a les siennes. Il n’y a dans la nature humaine qu’une douzaine, tout au plus, de caractères vraiment comiques et marqués de grands traits. L’abbé Dubos, faute de génie, croit que les hommes de génie peuvent encore trouver une foule de nouveaux caractères ; mais il faudrait que la nature en fît. Il s’imagine que ces petites différences qui sont dans les caractères des hommes peuvent être maniées aussi heureusement que les grands sujets. Les nuances, à la vérité, sont innombrables, mais les couleurs éclatantes sont en petit nombre ; et ce sont ces couleurs primitives qu’un grand artiste ne manque pas d’employer.

L’éloquence de la chaire, et surtout celle des oraisons funèbres, sont dans ce cas. Les vérités morales une fois annoncées avec éloquence, les tableaux des misères et des faiblesses humaines, des vanités de la grandeur, des ravages de la mort, étant faits par

  1. La première édition des Réflexions critiques sur la poésie et sur la peinture est de 1719.