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CHAPITRE XXXII.

Il aurait corrompu la langue française si le style marotique, qu’il employa dans des ouvrages sérieux, avait été imité. Mais heureusement ce mélange de la pureté de notre langue avec la difformité de celle qu’on parlait il y a deux cents ans n’a été qu’une mode passagère. Quelques-unes de ses épîtres sont des imitations un peu forcées de Despréaux, et ne sont pas fondées sur des idées aussi claires, et sur des vérités reconnues : le vrai seul est aimable[1].

Il dégénéra beaucoup dans les pays étrangers : soit que l’âge et les malheurs eussent affaibli son génie ; soit que, son principal mérite consistant dans le choix des mots et dans les tours heureux, mérite plus nécessaire et plus rare qu’on ne pense, il ne fût plus à portée des mêmes secours. Il pouvait, loin de sa patrie, compter parmi ses malheurs celui de n’avoir plus de critiques sévères.

Ses longues infortunes eurent leur source dans un amour propre indomptable, et trop mêlé de jalousie et d’animosité. Son exemple doit être une leçon frappante pour tout homme à talents ; mais on ne le considère ici que comme un écrivain qui n’a pas peu contribué à l’honneur des lettres.

Il ne s’éleva guère de grands génies depuis les beaux jours de ces artistes illustres ; et, à peu près vers le temps de la mort de Louis XIV, la nature sembla se reposer.

La route était difficile au commencement du siècle, parce que personne n’y avait marché ; elle l’est aujourd’hui, parce qu’elle a été battue. Les grands hommes du siècle passé ont enseigné à penser et à parler ; ils ont dit ce qu’on ne savait pas. Ceux qui leur succèdent ne peuvent guère dire que ce qu’on sait. Enfin une espèce de dégoût est venue de la multitude des chefs-d’œuvre.

Le siècle de Louis XIV a donc en tout la destinée des siècles de Léon X, d’Auguste, d’Alexandre. Les terres qui firent naître dans ces temps illustres tant de fruits du génie avaient été longtemps préparées auparavant. On a cherché en vain dans les causes morales et dans les causes physiques la raison de cette tardive fécondité, suivie d’une longue stérilité. La véritable raison est que chez les peuples qui cultivent les beaux-arts il faut beaucoup d’années pour épurer la langue et le goût. Quand les premiers pas sont faits, alors les génies se développent ; l’émulation, la faveur publique prodiguée à ces nouveaux efforts, excitent tous les talents. Chaque artiste saisit en son genre les beautés natu-

  1. Boileau, épître IX, vers 43.