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CHAPITRE XXXI.

CHAPITRE XXXI.

DES SCIENCES


Ce siècle heureux, qui vit naître une résolution dans l’esprit humain, n’y semblait pas destiné : car, à commencer par la philosophie, il n’y avait pas d’apparence, du temps de Louis XIII, qu’elle se tirât du chaos où elle était plongée. L’Inquisition d’Italie, d’Espagne, de Portugal, avait lié les erreurs philosophiques aux dogmes de la religion ; les guerres civiles en France, et les querelles du calvinisme, n’étaient pas plus propres à cultiver la raison humaine, que ne le fut le fanatisme du temps de Cromwell en Angleterre. Si un chanoine de Thorn[1] avait renouvelé l’ancien système planétaire dés Chaldéens, oublié depuis si longtemps, cette vérité était condamnée à Rome ; et la congrégation du saint office, composée de sept cardinaux, ayant déclaré non-seulement hérétique, mais absurde, le mouvement de la terre, sans lequel il n’y a point de véritable astronomie, le grand Galilée ayant demandé pardon à l’âge de soixante et dix ans d’avoir eu raison, il n’y avait pas d’apparence que la vérité pût être reçue sur la terre.

Le chancelier Bacon avait montré de loin la route qu’on pouvait tenir ; Galilée avait découvert les lois de la chute des corps ; Torricelli commençait à connaître la pesanteur de l’air qui nous environne ; on avait fait quelques expériences à Magdebourg. Avec ces faibles essais, toutes les écoles restaient dans l’absurdité, et le monde dans l’ignorance. Descartes parut alors ; il fit le contraire de ce qu’on devait faire : au lieu d’étudier la nature, il voulut la deviner. Il était le plus grand géomètre de son siècle ; mais la géométrie laisse l’esprit comme elle le trouve. Celui de Descartes était trop porté à l’invention. Le premier des mathématiciens ne fit guère que des romans de philosophie. Un homme qui dédaigna les expériences, qui ne cita jamais Galilée, qui voulait bâtir sans matériaux, ne pouvait élever qu’un édifice imaginaire.

Ce qu’il y avait de romanesque réussit, et le peu de vérités mêlé à ces chimères nouvelles fut d’abord combattu. Mais enfin ce peu de vérités perça, à l’aide de la méthode qu’il avait intro-

  1. Nicolas Copernic, né à Thorn, en Prusse, le 19 février 1473, mort le 24 mai 1543.