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FINANCES ET RÈGLEMENTS.

plus que la moitié. Celui qui devait vingt-six livres en 1668 donnait un marc, et qui devait quarante livres ne donnait qu’à peu près ce même marc en 1710. Les diminutions qui suivirent dérangèrent le peu qui restait de commerce autant qu’avait fait l’augmentation.

On aurait trouvé une ressource dans un papier de crédit ; mais ce papier doit être établi dans un temps de prospérité, pour se soutenir dans un temps malheureux.

Le ministre Chamillart commença, en 1706, à payer en billets de monnaie, en billets de subsistance, d’ustensiles ; et comme cette monnaie de papier n’était pas reçue dans les coffres du roi, elle fut décriée presque aussitôt qu’elle parut. On fut réduit à continuer de faire des emprunts onéreux, à consommer d’avance quatre années des revenus de la couronne[1].

On fit toujours ce qu’on appelle des affaires extraordinaires : on créa des charges ridicules, toujours achetées par ceux qui veulent se mettre à l’abri de la taille, car l’impôt de la taille étant avilissant en France, et les hommes étant nés vains, l’appât qui les décharge de cette honte fait toujours des dupes, et les gages considérables attachés à ces nouvelles charges invitent à les acheter dans des temps difficiles parce qu’on ne fait pas réflexion qu’elles seront supprimées dans des temps moins fâcheux. Ainsi, en 1707, on inventa la dignité des conseillers du roi rouleurs et courtiers de vin, et cela produisit cent quatre-vingt mille livres. On imagina des greffiers royaux, des subdélégués des intendants des provinces. On inventa des conseillers du roi contrôleurs aux empilements des bois, des conseillers de police, des charges de barbiers-perruquiers, des contrôleurs-visiteurs de beurre frais, des essayeurs de beurre salé[2]. Ces extravagances font rire aujourd’hui ; mais alors elles faisaient pleurer.

  1. Il est dit dans l’histoire écrite par La Hode, et rédigée sous le nom de La Martinière, qu’il en coûtait soixante et douze pour cent pour le change dans les guerres d’Italie. C’est une absurdité. Le fait est que M. de Chamillart, pour payer les armées, se servait du crédit du chevalier Bernard. Ce ministre croyait, par un ancien préjugé, qu’il ne fallait pas que l’argent sortit du royaume, comme si l’on donnait cet argent pour rien, et comme s’il était possible qu’une nation débitrice à une autre et qui ne s’acquitte pas en effets commerçables ne payât point en argent comptant : ce ministre donnait au banquier huit pour cent de profit, à condition qu’on payât l’étranger sans faire sortir de l’argent de France. Il payait, outre cela, le change, qui allait à cinq ou six pour cent de perte, et le banquier était obligé, malgré sa promesse, de solder son compte en argent avec l’étranger, ce qui produisait une perte considérable. (Note de Voltaire, dans l’édition de Kehl.)
  2. Voyez le paragraphe v du Fragment des instructions pour le prince royal de ***.