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CHAPITRE XXX.

temps après la dissolution de la chambre de justice qu’il avait fait ériger contre eux, il fit rendre un arrêt du conseil, qui établissait la peine de mort contre ceux qui avanceraient de l’argent sur de nouveaux impôts. Il voulait, par cet arrêt comminatoire, qui ne fut jamais imprimé, effrayer la cupidité des gens d’affaires. Mais bientôt après il fut obligé de se servir d’eux, sans même révoquer l’arrêt : le roi pressait, et il fallait des moyens prompts.

Cette invention, apportée d’Italie en France par Catherine de Médicis, avait tellement corrompu le gouvernement, par la facilité funeste qu’elle donne, qu’après avoir été supprimée dans les belles années de Henri IV, elle reparut dans tout le règne de Louis XIII, et infecta surtout les derniers temps de Louis XIV.

Enfin Sully enrichit l’État par une économie sage, que secondait un roi aussi parcimonieux que vaillant, un roi soldat à la tête de son armée, et père de famille avec son peuple. Colbert soutint l’État, malgré le luxe d’un maître fastueux, qui prodiguait tout pour rendre son règne éclatant.

On sait qu’après la mort de Colbert[1], lorsque le roi se proposa de mettre Le Pelletier à la tête des finances. Le Tellier lui dit : « Sire, il n’est pas propre à cet emploi. — Pourquoi ? dit le roi. — Il n’a pas l’âme assez dure, dit Le Tellier. — Mais vraiment, reprit le roi, je ne veux pas qu’on traite durement mon peuple. » En effet, ce nouveau ministre était bon et juste ; mais, lorsqu’en 1688 on fut replongé dans la guerre, et qu’il fallut se soutenir contre la ligue d’Augsbourg, c’est-à-dire contre presque toute l’Europe, il se vit chargé d’un fardeau que Colbert avait trouvé trop lourd : le facile et malheureux expédient d’emprunter et de créer des rentes fut sa première ressource. Ensuite on voulut diminuer le luxe, ce qui, dans un royaume rempli de manufactures, est diminuer l’industrie et la circulation, et ce qui n’est convenable qu’à une nation qui paye son luxe à l’étranger.

Il fut ordonné que tous les meubles d’argent massif, qu’on voyait alors en assez grand nombre chez les grands seigneurs, et qui étaient une preuve de l’abondance, seraient portés à la Monnaie. Le roi donna l’exemple : il se priva de toutes ces tables d’argent, de ces candélabres, de ces grands canapés d’argent massif, et de tous ces autres meubles qui étaient des chefs-d’œuvre de ciselure des mains de Ballin, homme unique en son genre, et tous exécutés sur les dessins de Lebrun. Ils avaient coûté dix millions : on en retira trois. Les meubles d’argent orfévri des par-

  1. En 1683. Voyez page 30.