Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
521
FINANCES ET RÈGLEMENTS.

le tort que le ministre des finances faisait à l’État par la variation du prix de l’or et de l’argent.

Presque tous les citoyens ont été persuadés que si le parlement s’était toujours borné à faire sentir au souverain, en connaissance de cause, les malheurs et les besoins du peuple, les dangers des impôts, les périls encore plus grands de la vente de ces impôts à des traitants qui trompaient le roi et opprimaient le peuple, cet usage des remontrances aurait été une ressource sacrée de l’État, un frein à l’avidité des financiers, et une leçon continuelle aux ministres. Mais les étranges abus d’un remède si salutaire avaient tellement irrité Louis XIV qu’il ne vit que les abus, et proscrivit le remède. L’indignation qu’il conserva toujours dans son cœur fut portée si loin qu’en 1669 (13 août), il alla encore lui-même au parlement pour y révoquer les privilèges de noblesse qu’il avait accordés dans sa minorité, en 1644, à toutes les cours supérieures.

Mais, malgré cet édit, enregistré en présence du roi, l’usage a subsisté de laisser jouir de la noblesse tous ceux dont les pères ont exercé vingt ans une charge de judicature dans une cour supérieure, ou qui sont morts dans leurs emplois.

En mortifiant ainsi une compagnie de magistrats, il voulut encourager la noblesse, qui défend la patrie, et les agriculteurs, qui la nourrissent. Déjà, par son édit de 1666, il avait accordé deux mille francs de pension, qui en font près de quatre aujourd’hui, à tout gentilhomme qui aurait eu douze enfants, et mille à qui en aurait eu dix. La moitié de cette gratification était assurée à tous les habitants des villes exemptes de tailles ; et, parmi les taillables, tout père de famille qui avait ou qui avait eu dix enfants était à l’abri de toute imposition.

Il est vrai que le ministre Colbert ne fit pas tout ce qu’il pouvait faire, encore moins ce qu’il voulait. Les hommes n’étaient pas alors assez éclairés, et dans un grand royaume il y a toujours de grands abus. La taille arbitraire, la multiplicité des droits, les douanes de province à province, qui rendent une partie de la France étrangère à l’autre, et même ennemie, l’inégalité des mesures d’une ville à l’autre, vingt autres maladies du corps politique ne purent être guéries[1].

  1. Si Colbert eût été assez éclairé sur ces objets, s’il eût proposé à Louis XIV de détruire ces abus, l’amour de ce prince pour la gloire ne lui eût point permis d’hésiter. Mais Colbert ne connaissait point assez ni ces abus, ni les moyens d’y remédier, ni surtout ceux d’y remédier sans causer au Trésor royal une perte momentanée : les guerres continuelles et la magnificence de la cour rendaient ce