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DES CHANGEMENTS DANS LE GOUVERNEMENT.

difficile de ne pas faire dans des temps orageux, a été réparé. Enfin la postérité, qui juge les rois et dont ils doivent avoir toujours le jugement devant les yeux, avouera, en pesant les vertus et les faiblesses de ce monarque, que, quoiqu’il eût été trop loué pendant sa vie, il mérita de l’être à jamais, et qu’il fut digne de la statue qu’on lui a érigée à Montpellier, avec une inscription latine dont le sens est : À Louis le Grand après sa mort[1]. Don Ustariz, homme d’État, qui a écrit sur les finances et le commerce d’Espagne, appelle Louis XIV un homme prodigieux.

Tous les changements qu’on vient de voir dans le gouvernement, et dans tous les ordres de l’État, en produisirent nécessairement un très-grand dans les mœurs. L’esprit de faction, de fureur, et de rébellion, qui possédait les citoyens depuis le temps de François II, devint une émulation de servir le prince. Les seigneurs des grandes terres n’étant plus cantonnés chez eux, les gouverneurs des provinces n’ayant plus de postes importants à donner, chacun songea à ne mériter de grâces que celles du souverain, et l’État devint un tout régulier dont chaque ligne aboutit au centre.

C’est là ce qui délivra la cour des factions et des conspirations qui avaient troublé l’État pendant tant d’années. Il n’y eut sous l’administration de Louis XIV qu’une seule conjuration, en 1674, imaginée par La Truaumont[2], gentilhomme normand, perdu de débauches et de dettes, et embrassée par un homme de la maison de Rohan, grand veneur de France, qui avait beaucoup de courage et peu de prudence. La hauteur et la dureté du marquis de Louvois l’avaient irrité au point qu’en sortant de son audience il entra tout ému et hors de lui-même chez M. de Caumartin, et se jetant sur un lit de repos : « Il faudra, dit-il, que ce… Louvois meure, ou moi. » Caumartin ne prit cet emportement que pour une colère passagère ; mais le lendemain ce même jeune homme lui ayant demandé s’il croyait les peuples de Normandie affectionnés au gouvernement, il entrevit des desseins dangereux. « Les temps de la Fronde sont passés, lui dit-il ; croyez-moi, vous vous perdrez, et vous ne serez regretté de personne. » Le chevalier ne le crut pas ; il se jeta à corps perdu dans la conspiration de La Truaumont. Il n’entra dans ce complot qu’un chevalier de Préaux, neveu de La Truaumont, qui, séduit par son oncle, séduisit sa maîtresse, la marquise de Villiers. Leur but et leur espérance n’étaient pas,

  1. L’inscription est plus longue. Elle dit que la statue fut votée pendant la vie du roi, et dressée seulement après sa mort. (G. A.)
  2. Ou plutôt Latréaumont.