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CHAPITRE XXIX.

nesse trop difficile à discipliner ; mais le corps des ingénieurs, que le roi forma, et auquel il donna les règlements qu’il suit encore, est un établissement à jamais durable. Sous lui, l’art de fortifier les places fut porté à la perfection par le maréchal de Vauban et ses élèves, qui surpassèrent le comte de Pagan[1]. Il construisit ou répara cent cinquante places de guerre.

Pour soutenir la discipline militaire, il créa des inspecteurs généraux, ensuite des directeurs, qui rendirent compte de l’état des troupes ; et on voyait, par leur rapport, si les commissaires des guerres avaient fait leur devoir.

Il institua l’ordre de Saint-Louis[2], récompense honorable, plus briguée souvent que la fortune. L’hôtel des Invalides mit le comble aux soins qu’il prit pour mériter d’être bien servi.

C’est par de tels soins que, dès l’an 1672, il eut cent quatre-vingt mille hommes de troupes réglées, et qu’augmentant ses forces à mesure que le nombre et la puissance de ses ennemis augmentaient, il eut enfin jusqu’à quatre cent cinquante mille hommes en armes, en comptant les troupes de la marine.

Avant lui, on n’avait point vu de si fortes armées. Ses ennemis lui en opposèrent à peine d’aussi considérables ; mais il fallait qu’ils fussent réunis. Il montra ce que la France seule pouvait ; et il eut toujours, ou de grands succès, ou de grandes ressources.

Il fut le premier qui, en temps de paix, donna une image et une leçon complète de la guerre. Il assembla à Compiègne soixante et dix mille hommes, en 1698. On y fit toutes les opérations d’une campagne. C’était pour l’instruction de ses trois petits fils. Le luxe fit une fête somptueuse de cette école militaire.

Cette même attention qu’il eut à former des armées de terre nombreuses et bien disciplinées, même avant d’être en guerre, il l’eut à se donner l’empire de la mer[3]. D’abord le peu de vaisseaux que le cardinal Mazarin avait laissé pourrir dans les ports sont réparés. On en fait acheter en Hollande, en Suède ; et, dès la troisième année de son gouvernement, il envoie ses forces maritimes s’essayer à Gigeri, sur la côte d’Afrique[4]. Le duc de Beaufort purge les mers de pirates, dès l’an 1665 ; et, deux ans après, la France a dans ses ports soixante vaisseaux de guerre. Ce n’est

  1. Blaise-François de Pagan, né en 1604, mort en 1665, auteur d’un Traité des fortifications, 1645, in-folio, passait, de son temps, pour le premier ingénieur. (B.)
  2. 10 mai 1693.
  3. Voltaire vient de dire quelle est la part de Louvois ; il revient maintenant à celle de Colbert. (G. A.)
  4. Voyez chapitre vii.