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SUITE DES ANECDOTES.

marquez le gré que vous lui savez de la conduite qu’il a tenue.

« Je crois que vous devez faire quelque chose de considérable pour l’ambassadeur qui a été assez heureux pour vous demander, et pour vous saluer le premier en qualité de sujet.

« N’oubliez pas Bedmar, qui a du mérite, et qui est capable de vous servir.

« Ayez une entière créance au duc d’Harcourt ; il est habile homme, et honnête homme, et ne vous donnera des conseils que par rapport à vous.

« Tenez tous les Français dans l’ordre.

« Traitez bien vos domestiques, mais ne leur donnez pas trop de familiarité, et encore moins de créance. Servez-vous d’eux tant qu’ils seront sages ; renvoyez-les à la moindre faute qu’ils feront, et ne les soutenez jamais contre les Espagnols.

« N’ayez de commerce avec la reine douairière que celui dont vous ne pouvez vous dispenser. Faites en sorte qu’elle quitte Madrid, et qu’elle ne sorte pas d’Espagne. En quelque lieu qu’elle soit, observez sa conduite, et empêchez qu’elle ne se mêle d’aucune affaire. Ayez pour suspects ceux qui auront trop de commerce avec elle.

« Aimez toujours vos parents. Souvenez-vous de la peine qu’ils ont eue à vous quitter. Conservez un grand commerce avec eux dans les grandes choses et dans les petites. Demandez-nous ce que vous aurez besoin ou envie d’avoir qui ne se trouve pas chez vous ; nous en userons de même avec vous.

« N’oubliez jamais que vous êtes Français, et ce qui peut vous arriver. Quand vous aurez assuré la succession d’Espagne par des enfants, visitez vos royaumes, allez à Naples et en Sicile ; passez à Milan, et venez en Flandre[1] : ce sera une occasion de nous revoir ; en attendant visitez la Catalogne, l’Aragon, et autres lieux. Voyez ce qu’il y aura à faire pour Ceuta.

« Jetez quelque argent au peuple quand vous serez en Espagne, et surtout en entrant dans Madrid.

« Ne paraissez pas choqué des figures extraordinaires que vous trouverez. Ne vous en moquez point. Chaque pays à ses manières particulières ; et vous serez bientôt accoutumé à ce qui vous paraîtra d’abord le plus surprenant.

  1. Cela seul peut servir à confondre tant d’historiens qui, sur la foi des Mémoires infidèles écrits en Hollande, ont rapporté un prétendu traité (signé par Philippe V avant son départ), par lequel traité ce prince cédait à son grand-père la Flandre et le Milanais. (Note de Voltaire.)