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CHAPITRE XXVIII.

[1]Ce discours est très-éloigné de la petitesse d’esprit qu’on lui impute dans quelques Mémoires.

On lui a reproché d’avoir porté sur lui des reliques, les dernières années de sa vie. Ses sentiments étaient grands ; mais son confesseur, qui ne l’était pas, l’avait assujetti à ces pratiques peu convenables, et aujourd’hui dés usitées, pour l’assujettir plus pleinement à ses insinuations ; et d’ailleurs ces reliques, qu’il avait la faiblesse de porter, lui avaient été données par Mme de Maintenon.

Quoique la vie et la mort de Louis XIV eussent été glorieuses, il ne fut pas aussi regretté qu’il le méritait. L’amour de la nouveauté, l’approche d’un temps de minorité, où chacun se figurait une fortune, la querelle de la Constitution qui aigrissait les esprits, tout fit recevoir la nouvelle de sa mort avec un sentiment qui allait plus loin que l’indifférence. Nous avons vu ce même peuple qui, en 1686, avait demandé au ciel avec larmes la guérison de son roi malade[2] suivre son convoi funèbre avec des démonstrations bien différentes. On prétend que la reine sa mère lui avait dit un jour dans sa grande jeunesse : « Mon fils, ressemblez à votre grand-père, et non pas à votre père. » Le roi en ayant demandé la raison : « C’est, dit-elle, qu’à la mort de Henri IV on pleurait, et qu’on a ri à celle de Louis XIII[3]. »

Quoiqu’on lui ait reproché des petitesses, des duretés dans son zèle contre le jansénisme, trop de hauteur avec les étrangers dans ses succès, de la faiblesse pour plusieurs femmes, de trop grandes sévérités dans des choses personnelles, des guerres légèrement entreprises, l’embrasement du Palatinat, les persécutions contre les réformés, cependant ses grandes qualités et ses actions, mises enfin dans la balance, l’ont emporté sur ses fautes. Le temps, qui mûrit les opinions des hommes, a mis le sceau à sa réputation ; et malgré tout ce qu’on a écrit contre lui, on ne prononcera point

  1. Dans les premières éditions, au lieu de cet alinéa et du suivant, on lisait :

    « Il est à croire que ces paroles n’ont pas peu contribué, trente ans après, à cette paix que Louis XV a donnée à ses ennemis, dans laquelle on a vu un roi victorieux rendre toutes ses conquêtes pour tenir sa parole, rétablir tous ses alliés, et devenir l’arbitre de l’Europe par son désintéressement plus encore que par ses victoires. »

    Il est mention de cet alinéa dans la seconde partie du Supplément au Siècle de Louis XIV. (B.)

  2. Voir page 473.
  3. J’ai vu de petites tentes dressées sur le chemin de Saint-Denis. On y buvait, on y chantait, on riait. Les sentiments des citoyens de Paris avaient passé jusqu’à la populace. Le jésuite Le Tellier était la principale cause de cette joie universelle. J’entendis plusieurs spectateurs dire qu’il fallait mettre le feu aux maisons des jésuites avec les flambeaux qui éclairaient la pompe funèbre. (Note de Voltaire.)