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Privé de presque tous ses enfants, sa tendresse, qui redoublait pour le duc du Maine et pour le comte de Toulouse, ses fils légitimés, le porta à les déclarer héritiers de la couronne, eux et leurs descendants, au défaut des princes du sang, par un édit qui fut enregistré sans aucune remontrance, en 1714. Il tempérait ainsi, par la loi naturelle, la sévérité des lois de convention, qui privent les enfants nés hors du mariage de tous droits à la succession paternelle. Les rois dispensent de cette loi. Il crut pouvoir faire pour son sang ce qu’il avait fait en faveur de plusieurs de ses sujets. Il crut surtout pouvoir établir pour deux de ses enfants ce qu’il avait fait passer au parlement, sans opposition, pour les princes de la maison de Lorraine. Il égala ensuite le rang de ses bâtards à celui des princes du sang, en 1715[1]. Le procès que les princes du sang intentèrent depuis aux princes légitimés est connu[2]. Ceux-ci ont conservé, pour leurs personnes et pour leurs enfants, les honneurs donnés par Louis XIV. Ce qui regarde leur postérité dépendra du temps, du mérite, et de la fortune[3].

Louis XIV fut attaqué, vers le milieu du mois d’août 1715, au retour de Marly, de la maladie qui termina ses jours. Ses jambes s’enflèrent ; la gangrène commença à se manifester. Le comte de Stair, ambassadeur d’Angleterre, paria, selon le génie de sa nation, que le roi ne passerait pas le mois de septembre. Le duc d’Orléans, qui, au voyage de Marly, avait été absolument seul, eut alors toute la cour auprès de sa personne. Un empirique, dans les derniers jours de la maladie du roi, lui donna un élixir qui ranima ses forces. Il mangea, et l’empirique assura qu’il guérirait. La foule qui entourait le duc d’Orléans diminua dans le moment. « Si le roi mange une seconde fois, dit le duc d’Orléans, nous n’aurons plus personne. » Mais la maladie était mortelle. Les mesures étaient prises pour donner la régence absolue au duc d’Orléans. Le roi ne la lui avait laissée que très-limitée par son testament, déposé au parlement ; ou plutôt il ne l’avait établi que chef d’un conseil de régence, dans lequel il n’aurait eu que la voix prépondérante. Cependant il lui dit : « Je vous ai conservé tous les droits que vous donne votre naissance[4]. » C’est

  1. La déclaration de Louis XIV est du 23 mai 1715. Elle accorde aux princes légitimés les titre et qualité de princes du sang. Un édit de 1714 leur donnait le droit de succéder à la couronne après les princes du sang.
  2. Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre LIX.
  3. Voltaire écrit tout cela par reconnaissance envers la cour de Sceaux, dont il fut un des favoris. (G. A.)
  4. Les Mémoires de madame de Maintenon, tome V, page 194, disent que