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SUITE DES ANECDOTES.

sa famille[1] par des morts prématurées : sa femme, à quarante-cinq ans ; son fils unique, à cinquante[2] ; et un an après que nous eûmes perdu son fils, nous vîmes son petit-fils, le dauphin duc de Bourgogne, la dauphine sa femme, leur fils ainé, le duc de Bretagne, portés à Saint-Denis, au même tombeau, au mois d’avril 1712 ; tandis que le dernier de leurs enfants, monté depuis sur le trône, était dans son berceau aux portes de la mort. Le duc de Berry, frère du duc de Bourgogne, les suivit deux ans après ; et sa fille, dans le même temps, passa du berceau au cercueil.

Ce temps de désolation laissa dans les cœurs une impression si profonde que, dans la minorité de Louis XV, j’ai vu plusieurs personnes qui ne parlaient de ces pertes qu’en versant des larmes. Le plus à plaindre de tous les hommes, au milieu de tant de morts précipitées, était celui qui semblait devoir hériter bientôt du royaume.

Ces mêmes soupçons qu’on avait eus à la mort de Madame et à celle de Marie-Louise, reine d’Espagne, se réveillèrent avec une fureur singulière. L’excès de la douleur publique aurait presque excusé la calomnie si elle avait été excusable. Il y avait du délire à penser qu’on eût pu faire périr par un crime tant de personnes royales, en laissant vivre le seul qui pouvait les venger. La maladie qui emporta le dauphin duc de Bourgogne, sa femme et son fils, était une rougeole pourprée épidémique. Ce mal fit périr à Paris, en moins d’un mois, plus de cinq cents personnes. M. le duc de Bourbon, petit-fils du prince de Condé, le duc de La Trimouille, Mme de La Vrillière, Mme de Listenai, en furent attaqués à la cour. Le marquis de Gondrin, fils du duc d’Antin, en mourut en deux

  1. Louis XIV allait à la chasse le jour qu’il avait perdu quelqu’un de ses enfants, a dit Voltaire ; voyez Remarques sur les Pensées de Pascal, § xxvii, dans les Mélanges à la date de 1728.
  2. L’auteur des Mémoires de madame de Maintenon, tome IV, dans un chapitre intitulé Mademoiselle Chouin, dit que « Monseigneur fut amoureux d’une de ses propres sœurs, et qu’il épousa ensuite Mlle Chouin ». Ces contes populaires sont reconnus pour faux chez tous les honnêtes gens. Il faudrait être non-seulement contemporain, mais être muni de preuves, pour avancer de telles anecdotes. Il n’y a jamais eu le moindre indice que Monseigneur eût épousé Mlle Chouin. Renouveler ainsi, au bout de soixante ans, des bruits de ville si vagues, si peu vrai semblables, si décriés, ce n’est point écrire l’histoire, c’est compiler au hasard des scandales pour gagner de l’argent. Sur quel fondement cet écrivain a-t-il le front d’avancer, page 244, que Mme la duchesse de Bourgogne dit au prince son époux ; « Si j’étais morte, auriez-vous fait le troisième tome de votre famille ? » Il fait parler Louis XIV, tous les princes, tous les ministres, comme s’il les avait écoutés. On trouve peu de pages dans ces Mémoires qui ne soient remplies de ces mensonges hardis qui soulèvent tous les honnêtes gens. (Note de Voltaire.)