Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tesse de Pernits[1], les caméristes Zapata et Nina, qui en ont mangé après elle, sont mortes du même poison. »

Après avoir lu cette étrange anecdote dans ces Mémoires manuscrits, qu’on dit faits avec soin par un courtisan qui n’avait presque point quitté Louis XIV pendant quarante ans, je ne laissai pas d’être encore en doute ; je m’informai à d’anciens domestiques du roi s’il était vrai que ce monarque, toujours retenu dans ses discours, eût jamais prononcé des paroles si imprudentes. Ils m’assurèrent tous que rien n’était plus faux. Je demandai à Mme  la duchesse de Saint-Pierre, qui arrivait d’Espagne, s’il était vrai que ces trois personnes fussent mortes avec la reine ; elle me donna des attestations que toutes trois avaient survécu longtemps à leur maîtresse. Enfin je sus que ces Mémoires du marquis de Dangeau, qu’on regarde comme un monument précieux, n’étaient que des nouvelles à la main écrites quelquefois par un de ses domestiques ; et je puis répondre qu’on s’en aperçoit souvent au style, aux inutilités, et aux faussetés dont ce recueil est rempli. Après toutes ces idées funestes, où la mort de Henriette d’Angleterre nous a conduits, il faut revenir aux événements de la cour qui suivirent sa perte.

La princesse palatine lui succéda un an après, et fut mère du duc d’Orléans, régent du royaume. Il fallut qu’elle renonçât au calvinisme pour épouser Monsieur ; mais elle conserva toujours pour son ancienne religion un respect secret qu’il est difficile de secouer quand l’enfance l’a imprimé dans le cœur.

L’aventure infortunée d’une fille d’honneur de la reine, en 1673, donna lieu à un nouvel établissement. Ce malheur est connu par le sonnet de l’Avorton, dont les vers ont été tant cités :

            Toi que l’amour fit par un crime,
Et que l’honneur défait par un crime à son tour,
            Funeste ouvrage de l’amour,
            De l’honneur funeste victime… etc.[2]

  1. Voyez la note 1 de la page 333.
  2. Le sonnet irrégulier de J. Hesnault, dont Voltaire cite le second quatrain, fut fait pour l’accident arrivé à Mlle  de Guerchy, fille d’honneur de la reine, et maîtresse du duc de Vitry. Sa grossesse, dont elle faisait mystère, la mettant hors d’état d’accompagner la reine dans un voyage, Mlle  de Guerchy eut recours à une sage-femme nommée Constantin, qui, dans ses opérations pour la faire avorter, la blessa mortellement. Vitry envoya chercher un confesseur : et dès que le prêtre eut donné l’absolution, l’amant, pour abréger les souffrances de sa maîtresse, lui cassa la tête, puis s’enfuit en Bavière. La Constantin fut pendue en août 1660 (voyez la lettre de Guy Patin, du 12 octobre de cette année). Dans sa lettre du