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par le maréchal ; et entre ce plein-pouvoir et la signature, il se trouva deux lignes d’une écriture différente par lesquelles le maréchal se donnait au diable.

Le Sage, Bonard, la Voisin, la Vigoureux, et plus de quarante accusés ayant été enfermés à la Bastille, Le Sage déposa que le maréchal s’était adressé au diable et à lui pour faire mourir cette Dupin qui n’avait pas voulu rendre les papiers ; leurs complices ajoutaient qu’ils avaient assassiné la Dupin par son ordre, qu’ils l’avaient coupée en quartiers, et jetée dans la rivière.

Ces accusations étaient aussi improbables qu’atroces. Le maréchal devait comparaître devant la cour des pairs ; le parlement et les pairs devaient revendiquer le droit de le juger : ils ne le firent pas. L’accusé se rendit lui-même à la Bastille, démarche qui prouvait son innocence sur cet assassinat prétendu.

(1679) Le secrétaire d’État Louvois, qui ne l’aimait pas, le fit enfermer dans une espèce de cachot de six pas et demi de long, où il tomba très-malade. On l’interrogea le second jour, et on le laissa ensuite cinq semaines entières sans continuer son procès ; injustice cruelle envers tout particulier, et plus condamnable encore envers un pair du royaume. Il voulut écrire au marquis de Louvois pour s’en plaindre ; on ne le lui permit pas : il fut enfin interrogé. On lui demanda s’il n’avait pas donné des bouteilles de vin empoisonnées pour faire mourir le frère de la Dupin et une fille qu’il entretenait.

Il paraissait bien absurde qu’un maréchal de France, qui avait commandé des armées, eût voulu empoisonner un malheureux bourgeois et sa maîtresse, sans pouvoir tirer aucun avantage d’un si grand crime.

Enfin on lui confronta Le Sage et un autre prêtre nommé d’Avaux, avec lesquels on l’accusait d’avoir fait des sortilèges pour faire périr plus d’une personne.

Tout son malheur venait d’avoir vu une fois Le Sage, et de lui avoir demandé des horoscopes.

Parmi les imputations horribles qui faisaient la base du procès, Le Sage dit que le maréchal duc de Luxembourg avait fait un pacte avec le diable, afin de pouvoir marier son fils à la fille du marquis de Louvois. L’accusé répondit : « Quand Matthieu de Montmorency épousa la veuve de Louis le Gros, il ne s’adressa point au diable, mais aux états généraux, qui déclarèrent que, pour acquérir au roi mineur l’appui des Montmorency, il fallait faire ce mariage. »

Cette réponse était fière, et n’était pas d’un coupable. Le procès