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grand nombre. Ils prédisaient l’avenir ; ils faisaient voir le diable. S’ils s’en étaient tenus là, il n’y aurait eu que du ridicule dans eux et dans la chambre ardente.

La Reynie, l’un des présidents de cette chambre, fut assez malavisé pour demander à la duchesse de Bouillon si elle avait vu le diable ; elle répondit qu’elle le voyait dans ce moment, qu’il était fort laid et fort vilain, et qu’il était déguisé en conseiller d’État. L’interrogatoire ne fut guère poussé plus loin.

L’affaire de la comtesse de Soissons et du maréchal de Luxembourg fut plus sérieuse. Le Sage, la Voisin, la Vigoureux, et d’autres complices encore, étaient en prison, accusés d’avoir vendu des poisons qu’on appelait la poudre de succession ; ils chargèrent tous ceux qui les étaient venus consulter. La comtesse de Soissons fut du nombre. Le roi eut la condescendance de dire à cette princesse que, si elle se sentait coupable, il lui conseillait de se retirer. Elle répondit qu’elle était très-innocente ; mais qu’elle n’aimait pas à être interrogée par la justice. Ensuite elle se retira à Bruxelles, où elle est morte sur la fin de 1708, lorsque le prince Eugène son fils la vengeait par tant de victoires, et triomphait de Louis XIV.

François-Henri de Montmorency-Boutteville, duc, pair et maréchal de France, qui unissait le grand nom de Montmorency à celui de la maison impériale de Luxembourg, déjà célèbre en Europe par des actions de grand capitaine, fut dénoncé à la chambre ardente. Un de ses gens d’affaires, nommé Bonard, voulant recouvrer des papiers importants qui étaient perdus, s’adressa au prêtre Le Sage pour les lui faire retrouver. Le Sage commença par exiger de lui qu’il se confessât, et qu’il allât ensuite pendant neuf jours en trois différentes églises, où il réciterait trois psaumes.

Malgré la confession et les psaumes, les papiers ne se retrouvèrent point ; ils étaient entre les mains d’une fille nommée Dupin. Bonard, sous les yeux de Le Sage, fit, au nom du maréchal de Luxembourg, une espèce de conjuration par laquelle la Dupin devait devenir impuissante en cas qu’elle ne lui rendît pas les papiers[1] : on ne sait pas trop ce que c’est qu’une fille impuissante. La Dupin ne rendit rien, et n’en eut pas moins d’amants.

Bonard, désespéré, se fit donner un nouveau plein-pouvoir

  1. Voyez une lettre du 27 janvier 1680, de Bussy-Rabutin à La Rivière, rapportée par Dulaure, volume VII, page 227, de son Histoire de Paris (seconde édition).