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dont on abuse en croyant pouvoir faire des crimes qu’on croit expier ; la confession, dis-je, fit connaître au grand pénitencier de Paris que quelques personnes étaient mortes empoisonnées. Il en donna avis au gouvernement. Les deux Italiens soupçonnés furent mis à la Bastille ; l’un des deux y mourut. Exili y resta sans être convaincu ; et du fond de sa prison il répandit dans Paris ces funestes secrets qui coûtèrent la vie au lieutenant civil d’Aubrai et à sa famille, et qui firent enfin ériger la chambre des poisons, qu’on nomma la chambre ardente.

L’amour fut la première source de ces horribles aventures. Le marquis de Brinvilliers, gendre du lieutenant civil d’Aubrai, logea chez lui Sainte-Croix[1] capitaine de son régiment, d’une trop belle figure. Sa femme lui en fit craindre les conséquences. Le mari s’obstina à faire demeurer ce jeune homme avec sa femme, jeune, belle, et sensible. Ce qui devait arriver arriva : ils s’aimèrent. Le lieutenant civil, père de la marquise, fut assez sévère et assez imprudent pour solliciter une lettre de cachet, et pour faire envoyer à la Bastille le capitaine, qu’il ne fallait envoyer qu’à son régiment. Sainte-Croix fut mis malheureusement dans la chambre où était Exili. Cet Italien lui apprit à se venger : on en sait les suites, qui font frémir. La marquise n’attenta point à la vie de son mari, qui avait eu de l’indulgence pour un amour dont lui-même était la cause ; mais la fureur de la vengeance la porta à empoisonner son père, ses deux frères et sa sœur. Au milieu de tant de crimes elle avait de la religion ; elle allait souvent à confesse ; et même lorsqu’on l’arrêta dans Liège, on trouva une confession générale écrite de sa main, qui servit non pas de preuve contre elle, mais de présomption. Il est faux qu’elle eût essayé ses poisons dans les hôpitaux, comme le disait le peuple, et comme il est écrit dans les Causes célèbres, ouvrage d’un avocat sans causes[2], et fait pour le peuple ; mais il est vrai qu’elle eut, ainsi que Sainte-Croix, des liaisons secrètes avec des personnes accusées depuis des mêmes crimes. Elle fut brûlée, en 1676, après avoir eu la tête tranchée. Mais depuis 1670 qu’Exili avait com-

  1. L’Histoire de Louis XIV, sous le nom de La Martinière, le nomme l’abbé de La Croix. Cette histoire, fautive en tout, confond les noms, les dates, et les événements. (Note de Voltaire.)
  2. François Gayot de Pitaval, mort en 1743 ; voyez la seconde partie du Supplément au Siècle de Louis XIV. La Beaumelle prétend que l’expression avocat sans causes est un mot usé, et que Voltaire ne l’emploie que parce que Gayot de Pitaval « a donné lieu à l’ingénieux Fréron de découvrir le plagiat de : Souvent un air de vérité, etc. » ; voyez la pièce de vers qui commence ainsi, tome X, page 528, et la note. (B.)