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femme un brave homme, un favori qui, privé par lui de la plus grande fortune, n’aurait fait d’autre faute que de s’être trop plaint de Mme de Montespan. Qu’on pardonne ces réflexions, les droits de l’humanité les arrachent. Mais en même temps l’équité veut que, Louis XIV n’ayant fait dans tout son règne aucune action de cette nature, on ne l’accuse pas d’une injustice si cruelle. C’est bien assez qu’il ait puni avec tant de sévérité un mariage clandestin, une liaison innocente, qu’il eût mieux fait d’ignorer. Retirer sa faveur était très-juste, la prison était trop dure.

Ceux qui ont douté de ce mariage secret n’ont qu’à lire attentivement les Mémoires de Mademoiselle. Ces Mémoires apprennent ce qu’elle ne dit pas. On voit que cette même princesse, qui s’était plainte si amèrement au roi de la rupture de son mariage, n’osa se plaindre de la prison de son mari. Elle avoue qu’on la croyait mariée ; elle ne dit point qu’elle ne l’était pas, et quand il n’y aurait que ces paroles : Je ne peux ni ne dois changer pour lui, elles seraient décisives[1].

Lauzun et Fouquet furent étonnés de se rencontrer dans la même prison ; mais Fouquet surtout, qui, dans sa gloire et dans sa puissance, avait vu de loin Péguilin dans la foule, comme un gentilhomme de province sans fortune, le crut fou quand celui-ci lui conta qu’il avait été le favori du roi, et qu’il avait eu la permission d’épouser la petite-fille de Henri IV avec tous les biens et les titres de la maison de Montpensier.

Après avoir langui dix ans en prison, il en sortit enfin ; mais ce ne fut qu’après que Mme de Montespan eut engagé Mademoiselle à donner la souveraineté de Bombes et le comté d’Eu au duc du Maine encore enfant, qui les posséda après la mort de cette princesse. Elle ne fit cette donation que dans l’espérance que M. de Lauzun serait reconnu pour son époux ; elle se trompa : le roi lui permit seulement de donner à ce mari secret et infortuné les terres de Saint-Fargeau et de Thiers, avec d’autres revenus considérables que Lauzun ne trouva pas suffisants. Elle fut réduite à être secrètement sa femme, et à n’en être pas bien traitée en public. Malheureuse à la cour, malheureuse chez elle, ordinaire effet des passions ; elle mourut en 1693[2].

  1. Encore une fois, le mariage n’est pas certain. (G. A.)
  2. On a imprimé, à la fin de ses Mémoires, une Histoire des amours de Mademoiselle et de M. de Lauzun. C’est l’ouvrage de quelque valet de chambre. On y a joint des vers dignes de l’histoire et de toutes les inepties qu’on était en possession d’imprimer en Hollande.

    On doit mettre au même rang la plupart des contes qui se trouvent dans les