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punirait ainsi une femme coupable serait un tyran ; et c’est ainsi que tant de femmes se sont punies d’avoir aimé. Il n’y a presque point d’exemple de politiques qui aient pris ce parti rigoureux. Les crimes de la politique sembleraient cependant exiger plus d’expiations que les faiblesses de l’amour ; mais ceux qui gouvernent les âmes n’ont guère d’empire que sur les faibles.

On sait que quand on annonça à sœur Louise de la Miséricorde la mort du duc de Vermandois, qu’elle avait eu du roi, elle dit : « Je dois pleurer sa naissance encore plus que sa mort. » Il lui resta une fille, qui fut de tous les enfants du roi la plus ressemblante à son père, et qui épousa le prince Armand de Conti, neveu du grand Condé.

Cependant la marquise de Montespan jouissait de sa faveur avec autant d’éclat et d’empire que Mme  de La Vallière avait eu de modestie.

Tandis que Mme  de La Vallière et Mme  de Montespan se disputaient encore la première place dans le cœur du roi, toute la cour était occupée d’intrigues d’amour. Louvois même était sensible. Parmi plusieurs maîtresses qu’eut ce ministre, dont le caractère dur semblait si peu fait pour l’amour, il y eut une Mme  Dufresnoi[1], femme d’un de ses commis, pour laquelle il eut depuis le crédit de faire ériger une charge chez la reine. On la fit dame du lit ; elle eut les grandes entrées. Le roi, en favorisant ainsi jusqu’aux goûts de ses ministres, voulait justifier les siens.

C’est un grand exemple du pouvoir des préjugés et de la coutume qu’il fût permis à toutes les femmes mariées d’avoir des amants, et qu’il ne le fût pas à la petite-fille de Henri IV d’avoir un mari. Mademoiselle, après avoir refusé tant de souverains, après avoir eu l’espérance d’épouser Louis XIV, voulut faire à quarante-quatre ans la fortune d’un gentilhomme. Elle obtint la permission d’épouser Péguilin[2], du nom de Caumont, comte de Lauzun, le dernier qui fut capitaine d’une des deux compagnies des cent gentilshommes au bec-de-corbin, qui ne subsistent plus, et le premier pour qui le roi avait créé la charge de colonel général des dragons. Il y avait cent exemples de princesses qui avaient épousé des gentilshommes : les empereurs romains donnaient leurs filles à des sénateurs ; les filles des souverains de l’Asie, plus

  1. Voltaire lui a donné place dans le chapitre xiii de l’Ingénu.
  2. Lauzun avait d’abord été connu sous le nom de marquis de Puyguilhem. On lit Pégulin et Péguilin dans la lettre de Guy Patin, du 21 décembre 1671.