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Les présents faits dans les pays étrangers furent si considérables que Viviani fit bâtir à Florence une maison des libéralités de Louis XIV. Il mit en lettres d’or sur le frontispice : Ædes a deo datæ, allusion au surnom de Dieu-donné, dont la voix publique avait nommé ce prince à sa naissance.

On se figure aisément l’effet qu’eut dans l’Europe cette magnificence extraordinaire : et si l’on considère tout ce que le roi fit bientôt après de mémorable, les esprits les plus sévères et les plus difficiles doivent souffrir les éloges immodérés qu’on lui prodigua. Les Français ne furent pas les seuls qui le louèrent. On prononça douze panégyriques de Louis XIV, en diverses villes d’Italie ; hommage qui n’était rendu ni par la crainte ni par l’espérance, et que le marquis Zampieri envoya au roi.

Il continua toujours à répandre ses bienfaits sur les lettres et sur les arts. Des gratifications particulières d’environ quatre mille louis à Racine, la fortune de Despreaux, celle de Quinault, surtout celle de Lulli, et de tous les artistes qui lui consacrèrent leurs travaux, en sont des preuves. Il donna même mille louis à Benserade pour faire graver les tailles-douces de ses Métamorphoses d’Ovide en rondeaux : libéralité mal appliquée, qui prouve seulement la générosité du souverain. Il récompensait dans Benserade le petit mérite qu’il avait eu dans ses ballets.

Plusieurs écrivains ont attribué uniquement à Colbert cette protection donnée aux arts, et cette magnificence de Louis XIV ; mais il n’eut d’autre mérite en cela que de seconder la magnanimité et le goût de son maître. Ce ministre, qui avait un très-grand génie pour les finances, le commerce, la navigation, la police générale, n’avait pas dans l’esprit ce goût et cette élévation du roi : il s’y prêtait avec zèle, et était loin de lui inspirer ce que la nature donne.

On ne voit pas, après cela, sur quel fondement quelques écrivains ont reproché l’avarice à ce monarque. Un prince qui a des

    avant 1674 ; il reçut alors 2,000 fr. Racine et Quinault touchaient alors chacun 800 fr. Racine n’avait eu que 600 fr. en 1663, en même temps que l’on donnait 3,000 fr. à Chapelain. Les libéralités du roi s’étendaient aussi dans les pays étrangers. « À l’égard de celles qui se distribuaient à Paris, dit Charles Perrault, elles se portèrent, la première année, chez tous les gratifiés par le commis du trésorier des bâtiments, dans des bourses de soie d’or, les plus propres du monde : la seconde année, dans des bourses de cuir. Comme toutes choses ne peuvent pas demeurer au même état, et vont naturellement en dépérissant, les années suivantes il fallut aller chercher soi-même les pensions chez le trésorier, en monnaie ordinaire. Les années bientôt eurent quinze et seize mois ; et, quand on déclara la guerre à l’Espagne, une grande partie de ces gratifications s’amortirent. » (B.)