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y furent servies par deux cents personnages qui représentaient les Saisons, les Faunes, les Sylvains, les Dryades, avec des pasteurs, des vendangeurs, des moissonneurs. Pan et Diane avançaient sur une montagne mouvante, et en descendirent pour faire poser sur les tables ce que les campagnes et les forêts produisent de plus délicieux. Derrière les tables, en demi-cercle, s’éleva tout d’un coup un théâtre chargé de concertants. Les arcades qui entouraient la table et le théâtre étaient ornées de cinq cents girandoles vertes et argent, qui portaient des bougies ; et une balustrade dorée fermait cette vaste enceinte.

Ces fêtes, si supérieures à celles qu’on invente dans les romans, durèrent sept jours. Le roi remporta quatre fois le prix des jeux, et laissa disputer ensuite aux autres chevaliers les prix qu’il avait gagnés, et qu’il leur abandonnait.

La comédie de la Princesse d’Élide, quoiqu’elle ne soit pas une des meilleures de Molière, fut un des plus agréables ornements de ces jeux, par une infinité d’allégories fines sur les mœurs du temps, et par des à-propos qui font l’agrément de ces fêtes, mais qui sont perdus pour la postérité. On était encore très-entêté, à la cour, de l’astrologie judiciaire : plusieurs princes pensaient, par une superstition orgueilleuse, que la nature les distinguait jusqu’à écrire leur destinée dans les astres. Le duc de Savoie, Victor-Amédée, père de la duchesse de Bourgogne, eut un astrologue auprès de lui, même après son abdication. Molière osa attaquer cette illusion dans les Amants magnifiques[1], joués dans une autre fête, en 1670.

On y voit aussi un fou de cour, ainsi que dans la Princesse d’Élide. Ces misérables étaient encore fort à la mode. C’était un reste de barbarie, qui a duré plus longtemps en Allemagne qu’ailleurs. Le besoin des amusements, l’impuissance de s’en procurer d’agréables et d’honnêtes dans les temps d’ignorance et de mauvais goût, avaient fait imaginer ce triste plaisir, qui dégrade l’esprit humain. Le fou qui était alors auprès de Louis XIV avait appartenu au prince de Condé : il s’appelait l’Angeli. Le comte de Grammont disait que de tous les fous qui avaient suivi Monsieur le Prince, il n’y avait que l’Angeli qui eût fait fortune. Ce bouffon ne manquait pas d’esprit. C’est lui qui dit « qu’il n’allait pas au sermon, parce qu’il n’aimait pas le brailler, et qu’il n’entendait pas le raisonner ».

  1. Voir, dans la scène ii de l’acte Ier, la dispute qui s’élève entre le fou Clitidas et l’astrologue Anaxarque.