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armoire de marqueterie, fort profonde, qui tenait du haut jusqu’en bas tout le fond d’un cabinet. Les clefs en avaient été perdues depuis longtemps, et l’on avait négligé d’ouvrir les tiroirs. M. de Caumartin, étonné de cette négligence, dit à la duchesse de Mazarin qu’on trouverait peut-être des curiosités dans cette armoire. On l’ouvrit : elle était toute remplie de quadruples, de jetons et de médailles d’or. Mme de Mazarin en jeta au peuple des poignées par les fenêtres pendant plus de huit jours[1].

L’abus que le cardinal Mazarin avait fait de sa puissance despotique ne justifiait pas le surintendant ; mais l’irrégularité des procédures faites contre lui, la longueur de son procès, l’acharnement odieux du chancelier Séguier contre lui, le temps qui éteint l’envie publique, et qui inspire la compassion pour les malheureux, enfin les sollicitations toujours plus vives en faveur d’un infortuné que les manœuvres pour le perdre ne sont pressantes, tout cela lui sauva la vie. Le procès ne fut jugé qu’au bout de trois ans, en 1664[2]. De vingt-deux juges qui opinèrent, il n’y en eut que neuf qui conclurent à la mort ; et les treize autres[3], parmi lesquels il y en avait à qui Gourville avait fait accepter des présents, opinèrent à un bannissement perpétuel. Le roi commua la peine en une plus dure. Cette sévérité n’était conforme ni aux anciennes lois du royaume, ni à celles de l’humanité. Ce qui révolta le plus l’esprit des citoyens, c’est que le chancelier fit exiler l’un des juges, nommé Roquesante, qui avait le plus déterminé la chambre de justice à l’indulgence[4]. Fouquet fut enfermé au château de Pignerol. Tous les historiens disent qu’il y mourut en 1680 ; mais Gourville assure, dans ses Mémoires, qu’il sortit de prison quelque temps avant sa mort. La comtesse de Vaux, sa belle-fille, m’avait déjà confirmé ce fait ; cependant on croit le contraire dans sa famille. Ainsi on ne sait pas où est mort cet infortuné, dont les moindres actions avaient de l’éclat quand il était puissant[5].

  1. J’ai retrouvé depuis cette même particularité dans Saint-Évremond. (Note de Voltaire.)
  2. Voir pour les détails du procès de Fouquet les lettres de Mme de Sévigné, du 14 novembre au 20 décembre 1664.
  3. Voyez les Mémoires de Gourville. (Note de Voltaire.)
  4. Racine assure, dans ses Fragments historiques, que le roi dit chez Mlle de La Vallière : « S’il avait été condamné à mort, je l’aurais laissé mourir. » S’il prononça ces paroles, on ne peut les excuser : elles paraissent trop dures et trop ridicules. (Id.) — Voyez Œuvres complètes de Racine, édition Saint-Marc-Girardin et Louis Moland, tome VI, pages 182-183.
  5. Il mourut, paraît-il, à Pignerol, le 18 mars 1680, et fut inhumé à Paris, dans la chapelle du couvent des filles de la Visitation, rue Saint-Antoine. (G. A.)