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lui rouvrir le chemin du trône, fermé à son frère par le parti des whigs. Les écrivains qui disent que Marlborough et son parti tombèrent quand la faveur de la reine ne les soutint plus ne connaissent pas l’Angleterre. La reine, qui dès lors voulait la paix, n’osait pas même ôter à Marlborough le commandement des armées ; et au printemps de 1711, Marlborough pressait encore la France, tandis qu’il était disgracié dans sa cour.

Sur la fin de janvier de cette même année 1711, arrive à Versailles un prêtre inconnu, nommé l’abbé Gautier, qui avait été autrefois aide de l’aumônier du maréchal de Tallard, dans son ambassade auprès du roi Guillaume. Il avait depuis ce temps demeuré toujours à Londres, n’ayant d’autre emploi que celui de dire la messe dans la chapelle privée du comte de Gallas, ambassadeur de l’empereur en Angleterre. Le hasard l’avait introduit dans la confidence d’un lord ami du nouveau ministère opposé au duc de Marlborough. Cet inconnu se rend chez le marquis de Torcy, et lui dit, sans autre préambule : « Voulez-vous faire la paix, monsieur ? je viens vous apporter les moyens de la traiter. » C’était, dit M. de Torcy, demander à un mourant s’il voulait guérir[1].

On entama bientôt une négociation secrète[2] avec le comte d’Oxford, grand trésorier d’Angleterre, et Saint-Jean, secrétaire d’État, depuis lord Bolingbroke. Ces deux hommes n’avaient d’autre intérêt de donner la paix à la France que celui d’ôter au duc de Marlborough le commandement des armées, et d’élever leur crédit sur les ruines du sien. Le pas était dangereux : c’était trahir la cause commune des alliés ; c’était rompre tous ses engagements, et s’exposer, sans aucun prétexte, à la haine de la plus grande partie de la nation, et aux recherches du parlement, qui auraient pu leur coûter la tête. Il est fort douteux qu’ils eussent pu réussir ; mais un événement imprévu facilita ce grand ouvrage. (17 avril 1711) L’empereur Joseph Ier mourut, et laissa les États de la maison d’Autriche, l’empire d’Allemagne, et les prétentions

  1. Mémoires de Torcy, tome III, page 33. (Note de Voltaire.) — Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, né à Paris en 1655, fut successivement ambassadeur en Portugal, en Danemark et en Angleterre, secrétaire et grand trésorier d’État, ministre des affaires étrangères en 1688, surintendant général des postes en 1709 ; l’Académie des sciences le reçut en 1715 ; il mourut en 1748. L’ouvrage dans lequel il raconte avec exactitude et compétence les événements dont il avait été un des principaux acteurs a pour titre : Mémoires de M. le marquis de Torcy, pour servir à l’Histoire des négociations depuis le traité de Rytwick jusqu’à la paix d’Utrecht. La Haye (Paris), 1756, trois volumes in-12. (E. B.)
  2. Le poëte Prior négocia pour l’Angleterre, et l’avocat Ménager pour la France.