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tants, et celle du maréchal de Villars d’environ soixante et dix mille. Les Français traînaient avec eux quatre-vingts pièces de canon ; les alliés, cent quarante[1]. Le duc de Marlborough commandait l’aile droite, où étaient les Anglais et les troupes allemandes à la solde d’Angleterre. Le prince Eugène était au centre ; Tilli et un comte de Nassau à la gauche, avec les Hollandais.

(11 septembre 1709) Le maréchal de Villars prit pour lui la gauche, et laissa la droite au maréchal de Boufflers. Il avait retranché son armée à la hâte, manœuvre probablement convenable à des troupes inférieures en nombre, longtemps malheureuses, dont la moitié était composée de nouvelles recrues, et convenable encore à la situation de la France, qu’une défaite entière eût mise aux derniers abois. Quelques historiens ont blâmé le général dans sa disposition. Il devait, disaient-ils, passer une large trouée, au lieu de la laisser devant lui. Ceux qui, de leur cabinet, jugent ainsi ce qui se passe sur un champ de bataille, ne sont-ils pas trop habiles ?

Tout ce que je sais, c’est que le maréchal dit lui-même que les soldats, qui, ayant manqué de pain un jour entier, venaient de le recevoir, en jetèrent une partie pour courir plus légèrement au combat. Il y a eu, depuis plusieurs siècles, peu de batailles plus disputées et plus longues, aucune plus meurtrière. Je ne dirai autre chose de cette bataille que ce qui fut avoué de tout le monde. La gauche des ennemis, où combattaient les Hollandais, fut presque toute détruite, et même poursuivie la baïonnette au bout du fusil. Marlborough, à la droite, faisait et soutenait les plus grands efforts. Le maréchal de Villars dégarnit un peu son centre pour s’opposer à Marlborough, et alors même ce centre fut attaqué. Les retranchements qui le couvraient furent emportés. Le régiment des gardes, qui les défendait, ne put résister. Le maréchal, en accourant de sa gauche à son centre, fut blessé, et la bataille fut perdue. Le champ était jonché de près de trente mille morts ou mourants.

On marchait sur les cadavres entassés, surtout au quartier des Hollandais. La France ne perdit guère plus de huit mille hommes dans cette journée. Ses ennemis en laissèrent environ vingt et un mille tués ou blessés ; mais le centre étant forcé, les

  1. M. Henri Martin donne cent vingt mille hommes aux alliés, avec cent vingt canons, et quatre-vingt-dix mille hommes aux Français, avec quatre-vingts canons.