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Déjà Marlborough avait pris Tournai (29 juillet 1709), dont Eugène avait couvert le siège. Déjà ces deux généraux marchaient pour investir Mons. Le maréchal de Villars s’avança pour les en empêcher. Il avait avec lui le maréchal de Boufflers, son ancien, qui avait demandé à servir sous lui. Boufflers aimait véritablement le roi et la patrie. Il prouva, en cette occasion (malgré la maxime d’un homme de beaucoup d’esprit), que dans un État monarchique, et surtout sous un bon maître, il y a des vertus. Il y en a, sans doute, tout autant que dans les républiques, avec moins d’enthousiasme peut-être, mais avec plus de ce qu’on appelle honneur[1].

Dès que les Français s’avancèrent pour s’opposer à l’investissement de Mons, les alliés vinrent les attaquer près des bois de Blangies et du village de Malplaquet.

L’armée des alliés était d’environ quatre-vingt mille combat-

  1. Cet endroit mérite d’être éclairci. L’auteur célèbre de l’Esprit des lois dit que l’honneur est le principe des gouvernements monarchiques, et la vertu le principe des gouvernements républicains.

    Ce sont là des idées vagues et confuses qu’on a attaquées d’une manière aussi vague, parce que rarement on convient de la valeur des termes, rarement on s’entend. L’honneur est le désir d’être honoré, d’être estimé : de là vient l’habitude de ne rien faire dont on puisse rougir. La vertu est l’accomplissement des devoirs, indépendamment du désir de l’estime ; de là vient que l’honneur est commun, la vertu rare.

    Le principe d’une monarchie ou d’une république n’est ni l’honneur ni la vertu. Une monarchie est fondée sur le pouvoir d’un seul ; une république est fondée sur le pouvoir que plusieurs ont d’empêcher le pouvoir d’un seul. La plupart des monarchies ont été établies par des chefs d’armées, les républiques par des citoyens assemblés. L’honneur est commun à tous les hommes, et la vertu rare dans tout gouvernement. L’amour-propre de chaque membre d’une république veille sur l’amour-propre des autres ; chacun voulant être maître, personne ne l’est ; l’ambition de chaque particulier est un frein public, et l’égalité règne.

    Dans une monarchie affermie, l’ambition ne peut s’élever qu’en plaisant au maître, ou à ceux qui gouvernent sous le maître. Il n’y a dans ces premiers ressorts ni honneur ni vertu, de part ni d’autre ; il n’y a que de l’intérêt. La vertu est en tout pays le fruit de l’éducation et du caractère. Il est dit dans l’Esprit des lois qu’il faut plus de vertu dans une république : c’est, en un sens, tout le contraire ; il faut beaucoup plus de vertu dans une cour pour résister à tant de séductions. Le duc de Montausier, le duc de Beauvilliers, étaient des hommes d’une vertu très-austère. Le maréchal de Villeroi joignit des mœurs plus douces à une probité non moins incorruptible. Le marquis de Torcy a été un des plus honnêtes hommes de l’Europe, dans une place où la politique permet le relâchement dans la morale. Les contrôleurs généraux Le Pelletier et Chamillart passèrent pour être moins habiles que vertueux.

    Il faut avouer que Louis XIV, dans cette guerre malheureuse, ne fut guère entouré que d’hommes irréprochables ; c’est une observation très-vraie et très-importante dans une histoire où les mœurs ont tant de part. (Note de Voltaire.) — Voyez le Supplément au Siècle de Louis XIV, troisième partie. (B.)