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nison dans vingt places de la Flandre, aux dépens du pays, dans Huy, dans Liège, et dans Bonn, et auraient en toute souveraineté la haute Gueldre. Ils seraient devenus en effet souverains des dix-sept provinces des Pays-Bas ; ils auraient dominé dans Liège et dans Cologne. C’est ainsi qu’ils voulaient s’agrandir sur les ruines mêmes de leurs alliés. Ils nourrissaient déjà ces projets élevés quand le roi leur envoya secrètement le président Rouillé pour essayer de traiter avec eux.

Ce négociateur vit d’abord dans Anvers deux magistrats d’Amsterdam, Bruys, et Vanderdussen, qui parlèrent en vainqueurs, et qui déployèrent, avec l’envoyé du plus fier des rois, toute la hauteur dont ils avaient été accablés en 1672. On affecta ensuite de négocier quelque temps avec lui, dans un de ces villages que les généraux de Louis XIV avaient mis autrefois à feu et à sang[1]. Quand on l’eut joué assez longtemps, on lui déclara qu’il fallait que le roi de France forçât le roi son petit-fils à descendre du trône sans aucun dédommagement ; que l’électeur de Bavière François-Marie, et son frère l’électeur de Cologne, demandassent grâce, ou que le sort des armes ferait les traités.

Les dépêches désespérantes du président de Rouillé arrivaient coup sur coup au conseil, dans le temps de la plus déplorable misère où le royaume eût été réduit dans les temps les plus funestes. L’hiver de 1709 laissait des traces affreuses ; le peuple périssait de famine. Les troupes n’étaient point payées ; la désolation était partout. Les gémissements et les terreurs du public augmentaient encore le mal.

Le conseil était composé du dauphin, du duc de Bourgogne son fils, du chancelier de France Pontchartrain, du duc de Beauvilliers, du marquis de Torcy, du secrétaire d’État de la guerre Chamillart, et du contrôleur général Desmarets. Le duc de Beauvilliers fit une peinture si touchante de l’état où la France était réduite que le duc de Bourgogne en versa des larmes, et tout le conseil y mêla les siennes. Le chancelier conclut à faire la paix à quelque prix que ce pût être. Les ministres de la guerre et des finances avouèrent qu’ils étaient sans ressource. « Une scène si triste, dit le marquis de Torcy, serait difficile à décrire, quand même il serait permis de révéler le secret de ce qu’elle eut de plus touchant. » Ce secret n’était que celui des pleurs qui coulèrent.

Le marquis de Torcy, dans cette crise, proposa d’aller lui-

  1. Bodegrave ; voyez page 262.