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Un courtisan[1] du duc de Bourgogne dit un jour au duc de Vendôme : « Voilà ce que c’est que de n’aller jamais à la messe ; aussi vous voyez quelles sont nos disgrâces. — Croyez-vous, lui répondit le duc de Vendôme, que Marlborough y aille plus souvent que moi[2] ? » Les succès rapides des alliés enflaient le cœur de l’empereur Joseph. Despotique dans l’empire, maître de Landau, il voyait le chemin de Paris presque ouvert par la prise de Lille. Déjà même un parti hollandais avait eu la hardiesse de pénétrer de Courtrai jusqu’auprès de Versailles, et avait enlevé, sur le pont de Sèvres, le premier écuyer du roi, croyant se saisir de la personne du dauphin, père du duc de Bourgogne[3]. La terreur était dans Paris.

L’empereur avait autant d’espérance au moins d’établir son frère Charles en Espagne que Louis XIV d’y conserver son petit-fils. Déjà cette succession, que les Espagnols avaient voulu rendre indivisible, était partagée entre trois têtes. L’empereur avait pris pour lui la Lombardie et le royaume de Naples. Charles, son frère, avait encore la Catalogne et une partie de l’Aragon. L’empereur força alors le pape Clément XI à reconnaître l’archiduc pour roi d’Espagne. Ce pape, dont on disait qu’il ressemblait à saint Pierre, parce qu’il affirmait, niait, se repentait, et pleurait, avait

    neveu, pour qu’il proposât à Louis XIV d’entamer une négociation pour la paix avec les députés de Hollande, le prince Eugène, et lui. On crut à la cour que cette proposition était la suite des inquiétudes de Marlborough sur le succès du siège de Lille, et on obligea le duc de Berwick à faire une réponse négative. Marlborough aimait beaucoup la gloire et l’argent, et il pouvait alors désirer la paix comme le meilleur moyen de mettre sa fortune en sûreté, et d’ajouter une autre espèce de gloire à sa réputation militaire, qui ne pouvait plus croître. Bientôt après il s’opposa de toutes ses forces à cette paix qu’il avait désirée, parce que la guerre lui était devenue nécessaire pour soutenir son crédit dans sa patrie. (K.)

  1. Le marquis d’O. (Note de Voltaire.)
  2. Le duc de Bourgogne, que Voltaire s’est avisé plus haut, par respect pour son maître Fénelon sans doute, d’appeler philosophe, menait à l’armée une vie de séminariste, et s’amusait à des jeux de femme. Se trouvant logé dans un couvent de religieuses, il demande à Fénelon s’il n’y a pas là péché ; et Fénelon, à ce scrupule, de s’écrier : « Oh ! que cet état plaît à Dieu ! » (G. A.)
  3. Ce furent des officiers au service de Hollande qui firent ce coup hardi. Presque tous étaient des Français que la révocation fatale de l’édit de Nantes avait forcés de choisir une nouvelle patrie : ils prirent la chaise du marquis de Beringhen pour celle du dauphin, parce qu’elle avait l’écusson de France. L’ayant enlevé, ils le firent monter à cheval ; mais comme il était âgé et infirme, ils eurent la politesse en chemin de lui chercher eux-mêmes une chaise de poste. Cela consuma du temps. Les pages du roi coururent après eux, le premier écuyer fut délivré ; et ceux qui l’avaient enlevé furent prisonniers eux-mêmes ; quelques minutes plus tard ils auraient pris le dauphin, qui arrivait après Beringhen avec un seul garde. (Note de Voltaire.)