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gnols, que Berwick gagna la bataille importante d’Almanza sur Galloway[1]. Almanza, ville bâtie par les Maures, est sur la frontière de Valence : cette belle province fut le prix de la victoire[2]. Ni Philippe V, ni l’archiduc, ne furent présents à cette journée ; et c’est sur quoi le fameux comte Péterborough, singulier en tout, s’écria « qu’on était bien bon de se battre pour eux ». C’est ce qu’il manda au maréchal de Tessé, et c’est ce que je tiens de sa bouche. Il ajoutait qu’il n’y avait que des esclaves qui combattissent pour un homme, et qu’il fallait combattre pour une nation. Le duc d’Orléans, qui voulait être à cette action, et qui devait commander en Espagne, n’arriva que le lendemain ; mais il profita de la victoire ; il prit plusieurs places, et entre autres Lérida, recueil du grand Condé[3].

(22 mai 1707) D’un autre côté, le maréchal de Villars, remis en France à la tête des armées uniquement parce qu’on avait besoin de lui, réparait en Allemagne le malheur de la journée d’Hochstedt. Il avait forcé les lignes de Stolhoffen au-delà du Rhin, dissipé toutes les troupes ennemies, étendu les contributions à cinquante lieues à la ronde, pénétré jusqu’au Danube. Ce succès passager faisait respirer sur les frontières de l’Allemagne ; mais en Italie tout était perdu. Le royaume de Naples, sans défense et accoutumé à changer de maître, était sous le joug des victorieux ; et le pape, qui n’avait pu empêcher que les troupes allemandes passassent par son territoire, voyait sans oser murmurer que l’empereur se fît son vassal malgré lui. C’est un grand exemple de la force des opinions reçues, et du pouvoir de la cou-

  1. Berwick avait commandé avec succès on Espagne pendant l’année 1704. Des intrigues de cour le firent rappeler. Le maréchal de Tessé demandait un jour à la jeune reine pourquoi elle n’avait pas conservé un général dont les talents et la probité lui auraient été si utiles. « Que voulez-vous que je vous dise ? répondit-elle ; c’est un grand diable d’Anglais, sec, qui va toujours tout droit devant lui. » Dans la campagne que termina la bataille d’Almanza, Berwick était instruit de l’état de l’armée alliée, et de ses projets, par un officier général portugais qui, persuadé que l’alliance du roi de Portugal avec l’empereur était contraire à ses vrais intérêts, le trahissait par esprit de patriotisme. (Mémoires de Berwick.) (K.)
  2. Voltaire a rapporté ailleurs une lettre écrite à Berwick sur la victoire d’Almanza. — Voyez article Lettres familières dans la Connaissance des beautés et des défauts de la poésie et de l’éloquence (Mélanges, à la date de 1749).
  3. L’armée du duc d’Orléans prit aussi Saragosse ; lorsque les troupes françaises parurent à la vue de la ville, on fit accroire au peuple que ce camp qu’il voyait n’était pas un objet réel, mais une apparence causée par un sortilège : le clergé se rendit processionnellement sur les murailles pour exorciser ces fantômes ; et le peuple ne commença à croire qu’il était assiégé par une armée réelle que lorsqu’il vit les hussards abattre quelques têtes. (Mémoires de Berwick.) (K.)