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était encore frontière ; mais Landau, perdu, laissait toujours l’Alsace exposée. La Provence était menacée d’une invasion par terre et par mer. Ce qu’on avait perdu en Flandre faisait craindre pour le reste. Cependant, malgré tant de désastres, le corps de la France n’était point encore entamé ; et, dans une guerre si malheureuse, elle n’avait encore perdu que des conquêtes.

Louis XIV fit face partout. Quoique partout affaibli, il résistait, ou protégeait, ou attaquait encore de tous côtés. Mais on fut aussi malheureux en Espagne qu’en Italie, en Allemagne, et en Flandre. On prétend que le siège de Barcelone avait été encore plus mal conduit que celui de Turin.

Le comte de Toulouse n’avait paru que pour ramener sa flotte à Toulon. Barcelone secourue, le siège abandonné, l’armée française, diminuée de moitié, s’était retirée sans munitions dans la Navarre, petit royaume qu’on conservait aux Espagnols, et dont nos rois ajoutent encore le titre à celui de France, par un usage qui semble au-dessous de leur grandeur.

À ces désastres s’en joignait un autre, qui parut décisif. Les Portugais, avec quelques Anglais, prirent toutes les places devant lesquelles ils se présentèrent, et s’avancèrent jusque dans l’Estramadoure espagnole, différente de celle du Portugal. C’était un Français devenu pair d’Angleterre qui les commandait, milord Galloway, autrefois comte de Ruvigny ; tandis que le duc de Berwick, Anglais et neveu de Marlborough, était à la tête des troupes de France et d’Espagne, qui ne pouvaient plus arrêter les victorieux.

Philippe V, incertain de sa destinée, était dans Pampelune. Charles, son compétiteur, grossissait son parti et ses forces en Catalogne : il était maître de l’Aragon, de la province de Valence, de Carthagène, d’une partie de la province de Grenade. Les Anglais avaient pris Gibraltar pour eux, et lui avaient donné Minorque, Iviça, et Alicante. Les chemins d’ailleurs lui étaient ouverts jusqu’à Madrid. (26 juin 1706) Galloway y entra sans résistance, et fit proclamer roi l’archiduc Charles. Un simple détachement le fit aussi proclamer à Tolède[1].

  1. On tint à Madrid, au nom de l’archiduc, plusieurs conseils où furent appelés les hommes les plus distingués de son parti. Le marquis de Ribas, secrétaire d’État sous Charles II, y assista. C’était lui qui avait dressé le testament de ce prince en faveur de Philippe V. Des cabales de cour l’avaient fait disgracier. On lui proposa de déclarer que le testament avait été supposé ; mais il ne voulut consentir à aucune déclaration qui pût affaiblir l’autorité de cet acte : ni les menaces ni les promesses ne purent l’ébranler. (K.)