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et, forcé de suivre le conseil du maréchal de Marsin, il se prépara à ce combat si désavantageux[1].

Les ennemis paraissaient vouloir former à la fois plusieurs attaques. Leurs mouvements jetaient l’incertitude dans le camp des Français. Le duc d’Orléans voulait une chose, Marsin et La Feuillade une autre : on disputait, on ne concluait rien. Enfin on laisse les ennemis passer la Doire. Ils avancent sur huit colonnes de vingt-cinq hommes de profondeur. Il faut dans l’instant leur opposer des bataillons d’une épaisseur assez forte.

Albergotti, placé loin de l’armée sur la montagne des Capucins, avait avec lui vingt mille hommes, et n’avait en tête que des milices qui n’osaient l’attaquer. On lui envoie demander douze mille hommes. Il répond qu’il ne peut se dégarnir : il donne des raisons spécieuses ; on les écoute : le temps se perd. (7 septembre 1706) Le prince Eugène attaque les retranchements, et au bout de deux heures il les force. Le duc d’Orléans, blessé, s’était retiré pour se faire panser. À peine était-il entre les mains des chirurgiens qu’on lui apprend que tout est perdu, que les ennemis sont maîtres du camp, et que la déroute est générale. Aussitôt il faut fuir ; les lignes, les tranchées, sont abandonnées, l’armée dispersée. Tous les bagages, les provisions, les munitions, la caisse militaire, tombent dans les mains du vainqueur.

Le maréchal de Marsin, blessé à la cuisse, est fait prisonnier. Un chirurgien du duc de Savoie lui coupa la cuisse, et le maréchal mourut quelques moments après l’opération. Le chevalier Méthuin, ambassadeur d’Angleterre auprès du duc de Savoie, le plus généreux, le plus franc, et le plus brave homme de son pays qu’on ait jamais employé dans les ambassades, avait toujours combattu à côté de ce souverain. Il avait vu prendre le maréchal de Marsin, et il fut témoin de ses derniers moments. Il m’a raconté que Marsin lui dit ces propres mots : « Croyez au moins, monsieur, que ç’a été contre mon avis que nous vous avons attendu dans nos lignes. » Ces paroles semblaient contredire formellement ce qui s’était passé dans le conseil de guerre, et elles étaient pourtant vraies ; c’est que le maréchal de Marsin, en prenant congé à Versailles, avait représenté au roi qu’il fallait aller aux ennemis, en cas qu’ils parussent pour secourir Turin ; mais

  1. Dans Saint-Simon, la scène du conseil de guerre est moins composée, plus réelle ; mais la conduite de d’Orléans est la même. Voltaire semble épargner La Feuillade, qui contrecarrait d’Orléans plus systématiquement encore que Marsin. (G. A.)