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Vendôme était déjà nommé pour aller réparer les pertes de la Flandre. Mais avant de quitter l’Italie, il souffre que le prince Eugène passe l’Adige : il lui laisse traverser le canal Blanc, enfin le Pô même, fleuve plus large et en quelques endroits plus difficile que le Rhône. Le général français ne quitta les bords du Pô qu’après avoir vu le prince Eugène en état de pénétrer jusqu’auprès de Turin. Ainsi il laissa les affaires dans une grande crise en Italie, tandis qu’elles paraissaient désespérées en Flandre, en Allemagne, et en Espagne.

Le duc de Vendôme va donc rassembler vers Mons les débris de l’armée de Villeroi, et le duc d’Orléans, neveu de Louis XIV, vient commander vers le Pô les troupes du duc de Vendôme. Ces troupes étaient en désordre, comme si elles avaient été battues. Eugène avait passé le Pô à la vue de Vendôme ; il passe le Tanaro aux yeux du duc d’Orléans ; il prend Carpi, Correggio, Reggio ; il dérobe une marche aux Français ; enfin il joint le duc de Savoie auprès d’Asti. Tout ce que put faire le duc d’Orléans, ce fut de venir joindre le duc de La Feuillade au camp devant Turin. Le prince Eugène le suit en diligence. Il y avait alors deux partis à prendre : celui d’attendre le prince Eugène dans les lignes de circonvallation, ou celui de marcher à lui, lorsqu’il était encore auprès de Veillane. Le duc d’Orléans assemble un conseil de guerre : ceux qui le composaient étaient le maréchal de Marsin, celui-là même qui avait perdu la bataille d’Hochstedt, le duc de La Feuillade, Albergolti, Saint-Fremont, et d’autres lieutenants généraux. « Messieurs, leur dit le duc d’Orléans, si nous restons dans nos lignes, nous perdons la bataille. Notre circonvallation est de cinq lieues d’étendue : nous ne pouvons border tous ces retranchements. Vous voyez ici le régiment de la marine qui n’est que sur deux hommes de hauteur ; là, vous voyez des endroits entièrement dégarnis. La Doire, qui passe dans notre camp, empêchera nos troupes de se porter mutuellement de prompts secours. Quand le Français attend qu’on l’attaque, il perd le plus grand de ses avantages, cette impétuosité et ces premiers moments d’ardeur qui décident si souvent du gain des batailles. Croyez-moi, il faut marcher à l’ennemi. » Tous les lieutenants généraux répondirent : Il faut marcher. Alors le maréchal de Marsin tire de sa poche un ordre du roi, par lequel on devait déférer à son avis en cas d’action : et son avis fut de rester dans les lignes.

Le duc d’Orléans, indigné, vit qu’on ne l’avait envoyé à l’armée que comme un prince du sang, et non comme un général