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reproché bien des fautes aux généraux français : la première était de s’être mis dans la nécessité de recevoir la bataille, au lieu de laisser l’armée ennemie se consumer faute de fourrage, et de donner au maréchal de Villeroi le temps de tomber sur les Pays-Bas, dégarnis, ou de s’avancer en Allemagne[1]. Mais il faut considérer, pour réponse à ce reproche, que l’armée française, étant un peu plus forte que celle des alliés, pouvait espérer de la défaire, et que la victoire eût détrôné l’empereur. Le marquis de Feuquières compte douze fautes capitales que firent l’électeur, Marsin, et Tallard, avant et après la bataille. Une des plus considérables était de n’avoir point un gros corps d’infanterie à leur centre, et d’avoir séparé leurs deux corps d’armée. J’ai entendu souvent de la bouche du maréchal de Villars que cette disposition était inexcusable.

Le maréchal de Tallard était à l’aile droite, l’électeur avec Marsin à la gauche. Le maréchal de Tallard avait dans le courage toute l’ardeur et la vivacité française, un esprit actif, perçant, fécond en expédients et en ressources. C’était lui qui avait conclu les traités de partage. Il était allé à la gloire et à la fortune par toutes les voies d’un homme d’esprit et de cœur. La bataille de Spire lui avait fait un très-grand honneur, malgré les critiques de Feuquières : car un général victorieux n’a point fait de fautes aux yeux du public ; de même que le général battu a toujours tort, quelque sage conduite qu’il ait eue.

Mais le maréchal de Tallard avait un malheur bien dangereux pour un général : sa vue était si faible qu’il ne distinguait pas les objets à vingt pas de lui. Ceux qui l’ont bien connu m’ont dit encore que son courage ardent, tout contraire à celui de Marlborough, s’enflammant dans la chaleur de l’action, ne laissait pas à son esprit une liberté assez entière. Ce défaut lui venait d’un sang sec et allumé. On sait assez que notre tempérament fait toutes les qualités de notre âme.

Le maréchal de Marsin n’avait jusque-là jamais commandé en chef ; et, avec beaucoup d’esprit et un sens droit, il avait, disait-on, l’expérience d’un bon officier plus que d’un général.

Pour l’électeur de Bavière, on le regardait moins comme un grand capitaine que comme un prince vaillant, aimable, chéri de ses sujets, ayant dans l’esprit plus de magnanimité que d’application.

Enfin la bataille commença entre midi et une heure. Marlbo-

  1. Ce fut l’électeur de Bavière qui exigea la bataille. (G. A.)