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prince de Hesse, depuis roi de Suède, qui voulait secourir la ville. Si l’on en croit le marquis de Feuquières, cet officier et ce juge si instruit dans l’art militaire, mais si sévère dans ses jugements, le maréchal de Tallard ne gagna cette bataille que par une faute et par une méprise. Mais enfin il écrivit du champ de bataille au roi : « Sire, votre armée a pris plus d’étendards et de drapeaux qu’elle n’a perdu de simples soldats. »

Cette action fut celle de toute la guerre où la baïonnette fit le plus de carnage. Les Français, par leur impétuosité, avaient un grand avantage en se servant de cette arme. Elle est devenue depuis plus menaçante que meurtrière. Le feu soutenu et roulant a prévalu. Les Allemands et les Anglais s’accoutumèrent à tirer par divisions avec plus d’ordre et de promptitude que les Français. Les Prussiens furent les premiers qui chargèrent leurs fusils avec des baguettes de fer. Le second roi de Prusse les disciplina, de sorte qu’ils pouvaient tirer six coups par minute très-aisément. Trois rangs tirant à la fois, et avançant ensuite rapidement, décident aujourd’hui du sort des batailles. Les canons de campagne font un effet non moins redoutable. Les bataillons que ce feu ébranle n’attendent pas l’attaque des baïonnettes, et la cavalerie achève de les rompre. Ainsi la baïonnette effraye plus qu’elle ne tue, et l’épée est devenue absolument inutile à l’infanterie. La force du corps, l’adresse, le courage d’un combattant, ne lui servent plus de rien. Les bataillons sont devenus de grandes machines, dont la mieux montée dérange nécessairement celle qui lui est opposée. C’est précisément par cette raison que le prince Eugène a gagné contre les Turcs les célèbres batailles de Témesvar et de Belgrade, où les Turcs auraient eu probablement l’avantage par leur nombre supérieur, s’il y avait eu ce qu’on appelle une mêlée. Ainsi l’art de se détruire est non-seulement tout autre de ce qu’il était avant l’invention de la poudre, mais de ce qu’il était il y a cent ans.

Cependant la fortune de la France se soutenant d’abord si heureusement du côté de l’Allemagne, on présumait que le maréchal de Villars la pousserait encore plus loin avec cette impétuosité qui déconcertait la lenteur allemande ; mais ce même caractère qui en faisait un chef redoutable le rendait incompatible avec l’électeur de Bavière. Le roi voulait qu’un général ne fût fier qu’avec l’ennemi ; et l’électeur de Bavière fut assez malheureux pour demander un autre maréchal de France.

Villars lui-même, fatigué des petites intrigues d’une cour orageuse et intéressée, des irrésolutions de l’électeur, et plus encore