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L’empereur, pour attaquer Louis XIV du côté de l’Allemagne, attendait que le corps germanique se fût ébranlé en sa faveur. Il avait des intelligences et un parti en Espagne ; mais les fruits de ces intelligences ne pouvaient éclore si l’un des fils de Léopold ne se présentait pour les recueillir ; et ce fils de l’empereur ne pouvait s’y rendre qu’à l’aide des flottes d’Angleterre et de Hollande. Le roi Guillaume hâtait les préparatifs. Son esprit, plus agissant que jamais dans un corps sans force et presque sans vie, remuait tout, moins pour servir la maison d’Autriche que pour abaisser Louis XIV.

Il devait, au commencement de 1702, se mettre à la tête des armées. La mort le prévint dans ce dessein. Une chute de cheval acheva de déranger ses organes affaiblis ; une petite fièvre l’emporta. Il mourut (16 mars 1702), ne répondant rien à ce que des prêtres anglais, qui étaient auprès de son lit, lui dirent sur leur religion, et ne marquant d’autre inquiétude que celle dont le tourmentaient les affaires de l’Europe.

Il laissa la réputation d’un grand politique, quoiqu’il n’eût point été populaire, et d’un général à craindre, quoiqu’il eût perdu beaucoup de batailles. Toujours mesuré dans sa conduite, et jamais vif que dans un jour de combat, il ne régna paisiblement en Angleterre que parce qu’il ne voulut pas y être absolu. On l’appelait, comme on sait, le stathouder des Anglais et le roi des Hollandais. Il savait toutes les langues de l’Europe, et n’en parlait aucune avec agrément, ayant beaucoup plus de réflexion dans l’esprit que d’imagination. Son caractère était en tout l’opposé de Louis XIV : sombre, retiré, sévère, sec, silencieux autant que Louis était affable. Il haïssait les femmes[1] autant que Louis les aimait. Louis faisait la guerre en roi, et Guillaume en soldat. Il avait combattu contre le grand Condé et contre Luxembourg, laissant la victoire indécise entre Condé et lui à Senef, et réparant en peu de temps ses défaites à Fleurus, à Steinkerque, à Nervinde ; aussi fier que Louis XIV, mais de cette fierté triste et mélancolique, qui rebute plus qu’elle n’impose. Si les beaux-arts

  1. Voyez, ci-devant, la note de la page 296.

    On a fait dire à Guillaume : « Le roi de France ne devrait point me haïr ; Je l’imite en beaucoup de choses, Je le crains en plusieurs, et je l’admire en tout. » On cite sur cela les Mémoires de M. de Dangeau. Je ne me souviens point d’y avoir vu ces paroles : elles ne sont ni dans le caractère ni dans le style du roi Guillaume. Elles ne se trouvent dans aucun mémoire anglais concernant ce prince, et il n’est pas possible qu’il ait dit qu’il imitait Louis XIV, lui dont les mœurs, les goûts, la conduite dans la guerre et dans la paix, furent en tout l’opposé de ce monarque. (Note de Voltaire.)